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advint pas grand profit. Plus sage, le duc de Bourbon orna de l’image de saint Pierre, de sainte Anne et de sainte Suzanne les trois tours de son château de Chantelle.

Le bourgeois n’avait pas de tour à défendre, mais sa maison de bois n’avait-elle pas besoin d’être protégée ? Ne fallait-il pas en éloigner l’incendie, la peste, la maladie, la mort ? Voilà pourquoi les façades de nos vieilles maisons ont souvent plus de saints qu’un retable d’autel. Une maison de Luynes nous montre, à côté de la Vierge, sainte Geneviève, patronne de la ville, saint Christophe qui défend contre la mort subite, et saint Jacques qui n’oublie jamais ceux qui, par amour de lui, entreprirent le grand pèlerinage. Ces charmantes maisons deviennent rares. Rouen même n’en a plus qu’un très petit nombre. Celles qui restent témoignent de la confiance inébranlable de ces vieilles générations en la bonté des saints. Au moyen âge, dans nos grandes villes gothiques, Paris, Rouen, Troyes, la rue avait un aspect surprenant. Non seulement chaque maison montrait au passant sa galerie de saints, mais les enseignes qui se balançaient au vent, multipliaient encore les saint Martin, les saint Georges et les saint Éloi. La cathédrale qui montait au-dessus des toits n’emportait pas plus de bienheureux vers le ciel.

Dans les villages, les saints, pour être moins nombreux, n’en étaient pas vénérés avec moins de ferveur. L’image du patron de l’église était considérée comme un précieux talisman. Dans nos provinces du Centre, le jour de la fête du saint, on vendait sa statue au plus offrant sous le porche. Le « roi de l’enchère » devenait pour quelques heures le maître de la sainte image, et l’emportait dans sa maison, où le bonheur devait entrer avec elle. Aux processions, on se disputait l’honneur de porter la statue, les reliques, la bannière du saint. Dans les églises de pèlerinage, les paroisses se livraient souvent, autour de la châsse, de sanglantes batailles. On croirait voir revivre le génie héroïque et sauvage des anciens clans.

Les saints sont associés, dans cette vieille France rustique, à l’odeur des vergers. Ils n’en sont que plus puissans sur le cœur de l’homme. En Bourbonnais, quand la floraison était proche, on promenait autour des vignes la statue équestre de saint Georges, et on lavait avec du vin les pieds de son cheval. En Anjou, c’est encore à saint George qu’on demandait, le 23 avril, de nouer la fleur du cerisier.