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majestueuses, ou bien un saisissant silence. Aucune muraille fragile ne pouvait s’édifier sur ces rues, aucune chaumière à l’humble toit, aucun abri couvert de paille. Rien que de la force, comparable à celle du rocher, et la parfaite incrustation des pierres très précieuses. Et partout, alentour, aussi loin que les yeux pouvaient atteindre, toujours le calme balancement des eaux sans tache, pures orgueilleusement, car non plus que la fleur, ni l’épine, ni le chardon ne pouvaient croître dans les plaines étincelantes. À l’horizon, la force éthérée des Alpes, s’évanouissant comme un rêve, en haute procession par delà le rivage torcellien, — les îles bleues des collines de Padoue suspendues dans l’or occidental. En haut du ciel, de libres vents, des nuages dont les flammes se déploient à leur volonté, un éclat montant du Nord dans l’espace, ou des parfums venus du Sud, et les astres du matin et du soir clairs dans l’infinie blancheur qui s’épand à la voûte du ciel et sur le cercle de la mer…[1]. »


III

D’une telle cité l’art devait être suprême. Aux âmes énergiques d’un peuple religieux, simple et discipliné, la nature présentait ses formes les plus excitantes de beauté. Mais rappelons-nous ce que fut, au moyen âge, l’architecture du sombre Nord, ce qu’en témoignent encore les églises, les beffrois, les vieilles maisons, les murailles et les portes de nos villes historiques, art sauvage, parfois, mais plus riche et fantastique encore que celui du Midi, animé de libres rythmes et formes de vie dont la vie des hommes s’exaltait. Après tant de siècles, de ruines et de déshonneurs, nous en percevons encore les toniques influences. En cheminant par les vieux quartiers demi-déserts d’une Cologne ou d’un Rouen, est-ce que nous ne sourions pas de plaisir et d’amusement comme en marchant dans un jardin de fleurs ? Qu’on imagine donc le passé, quand les couleurs étaient fraîches et que la vie bruissait là ! Des rues capricieuses, zigzaguantes, à l’ombre irrégulière des pignons et des auvens qui débordent, des maisons pointues, ventrues, festonnées et fleuries, des poutres historiées et guillochées, des grilles dont le fer est forgé en buissons d’épines, en treillis de lierre ou de vigne, des

  1. Modern Painters, V, ix, 9.