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Qu’on a mal lu ce chef-d’œuvre, et qu’il serait dommage que la postérité regardât M. Barrès comme le Paul-Louis Courier de la troisième République ! Ni le parti pris, ni la violence, le livre n’a rien d’un pamphlet. On comprend mieux qu’il ait rappelé à Francisque Sarcey les Mémoires de Saint-Simon, d’un Saint-Simon qui se griserait non de sa propre vengeance, mais du spectacle qu’il raconte, et qui « n’assénerait » ses regards que pour le plaisir de les asséner. Pour ma part, je ne vois de violent dans Leurs figures que ce plaisir. Ce n’est pas le frémissement d’une volupté de surface, mais le jeu grave, patient, magnifique d’une curiosité ardente et réfléchie. Impassible à force de passion, l’auteur trahit cependant, de-ci de-là, en lieues de feu ses délices de contemplateur. Il parle de la « magnificence » et de la « poésie infernale » de cette « épopée. » Deux lignes de lui eu disent plus long à ce sujet que tous les commentaires :


En ce temps-là, écrit-il, conséquence d’une surproduction de drames, il y eut d’irréparables gaspillages de physionomies tragiques.


Le partisan s’efface devant le peintre, la passion politique devant la fièvre de voir, de comprendre et de décrire. N’était cette fièvre, vous le prendriez presque pour un dilettante. Indignation, haine, mépris, par un suprême effort de discipline et par un sens infaillible des lois de son art, il concentre en une flamme unique de curiosité tous les sentimens qui grondent en lui. Ni bourreau, ni accusateur, ni même juge, simple spectateur, mais d’autant plus redoutable qu’il est plus calme, il choisit méthodiquement, paisiblement, dans le tumulte de ces terribles journées, l’attitude, le geste, le mot qui perdent un homme. Cruel, si l’on veut, féroce même, mais d’une férocité d’artiste. L’enthousiasme passé, quand le pinceau lui tombe des mains, il n’est plus qu’indulgence, que pitié pour les figures qu’il vient de peindre. « Les malheureux ! » écrit-il sans se douter qu’il répète le mot de sainte Thérèse sur les démons. Mais chez lui, de tels mots trahissent moins les attendrissemens soudains de la sensibilité que les hésitations de l’esprit. Vérité d’un côté de la Chambre, erreur au-delà.

« Décidément, — écrit-il, — elle est vraie cette parole qui toujours me tenta par sa désolation : Il n’y a de justice que dans l’intérieur d’une même espèce. » Un fanatique ne parlerait pas de la sorte, et ce n’est pas là une boutade, mais l’expression