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prouver qu’il a enrichi les biens du non-être à ses dépens ; il doit établir en outre que cette masse reste enrichie quand elle parvient aux mains du liquidateur. Or si cette preuve est parfois possible, par exemple à l’architecte, aux entrepreneurs, aux ouvriers d’un bâtiment, elle est le plus souvent très difficile. Elle est notamment impossible aux fournisseurs ; en quoi les biens du non-être se trouvent-ils enrichis, parce que religieux ou religieuses se sont nourris, se sont chauffés ? Mais cette action a une autre et bien plus grande conséquence. Elle fait écarter du coup toutes les hypothèques : une hypothèque ne peut résulter que d’un contrat, et le non-être n’a pu passer de contrat ; une hypothèque ne peut être consentie que par le propriétaire, et ni le non-être ni ses personnes interposées n’étaient propriétaires ; enfin elle garantit une créance, et il n’y a pas de créance, il n’y a que l’action de l’enrichissement sans cause. Les hypothèques tombent, tandis que la plupart des prêteurs, « toujours imprudens ou de mauvaise foi, » n’arrivent pas à prouver que l’enrichissement subsiste. Ainsi la masse de la liquidation, au lieu de disparaître aux mains de ces créanciers, reste intacte aux mains des liquidateurs d’abord, puis au profit de l’État.

Ce système a échoué devant les tribunaux. Presque tous se sont inspirés de l’idée que les lois de 1901 et de 1904 étaient faites contre les congrégations, non pas contre les tiers. Statuant sur les réclamations des fournisseurs, les jugemens les admettent sans hésiter. Un de ces jugemens s’exprime ainsi : « Attendu qu’il s’agit du paiement de fournitures ayant un caractère absolument alimentaire, c’est-à-dire d’achats de farines destinées à la confection du pain indispensable à l’existence même des membres de la communauté ; qu’on ne saurait dénier à ces derniers le droit de vivre et d’acheter de quoi se nourrir ( ce qui ne serait même pas refusé à des étrangers résidant en France) jusqu’au moment où l’autorisation par eux demandée leur ayant été refusée, ils se verraient expulsés… » Les liquidateurs sont donc condamnés à payer les fournisseurs. Ils sont condamnés de même à payer les créanciers ordinaires. Contre les créanciers hypothécaires, la lutte se poursuit ardemment, et la Cour de cassation enfin, au mois de juillet 1907, est appelée à dire le dernier mot dans un débat qui tenait en suspens de si graves intérêts. Le procureur général se prononce nettement contre le système des liquidateurs. « La loi de 1901 n’a pas entendu faire