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mais n’arrivait jamais qu’à des résultats qu’un Vatel n’aurait certainement pas enviés. » Enfin, après dix-huit mois de ce régime, l’abbé fut invité par le doyen de Donaustauf à venir, chaque soir, dîner à sa table, sans autre rémunération que la petite corvée d’une partie d’échecs, souvent assez longue, à la fin du repas. Ces dîners chez le brave doyen allaient être les derniers « souvenirs » culinaires que l’abbé de Préneuf devait garder de son exil.


Toute la fin de l’émigration de l’abbé s’est, d’ailleurs, écoulée si tranquillement qu’il n’a trouvé à nous en raconter que deux épisodes, mais l’un et l’autre assez curieux pour valoir encore d’être signalés. Un jour, en septembre 1799, parmi l’un des nombreux convois de prisonniers français qui traversaient Donaustauf, et que M. de Préneuf tâchait, naturellement, à secourir de son mieux, il lui arriva de reconnaître le fils d’un artisan de Vaugirard, à qui il avait donné jadis des leçons de catéchisme. « Tous ces malheureux étaient dans un état pitoyable : mal vêtus, quelques-uns sans chaussures, les pieds enveloppés dans des bandes d’étoffe et de corde. A peine quelques chariots suivaient-ils la colonne, pour ramasser ceux qui, à bout de forces, ne pouvaient plus avancer. Ils se plaignaient aussi de la nourriture restreinte et détestable qu’on leur donnait, et des marches forcées qu’on leur faisait faire. » L’ancien curé de Vaugirard éprouva un mélange singulier de plaisir et de compassion, à rencontrer ainsi l’un de ses paroissiens ; et nous le croyons volontiers quand il nous dit qu’il questionna longuement le prisonnier sur sa famille, comme aussi sur tout ce qui s’était passé à Vaugirard depuis son départ. Il fut assez heureux pour lui procurer, par l’intermédiaire du bailli, « du linge, qui lui manquait absolument, et quelques provisions dont sa figure hâve et décharnée indiquait le plus pressant besoin. » Encore le jeune homme ne voulut-il accepter ces présens qu’à la condition de les partager avec ses camarades. Le convoi fut logé à Donauslauf jusqu’au lendemain : puis il repartit « pour le fond de l’Autriche. »

Le second épisode serait, par lui-même, assez insignifiant, et le récit de l’abbé en contient une foule d’autres qui auraient plus de titres à nous intéresser ; mais, grâce aux recherchés érudites de M. Vanel, il nous apporte un témoignage tout à fait