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faux peut-être, mais qui est leur idéal. De là vient qu’ils échappent à toute vulgarité. Ils ont leur noblesse.

Ainsi, au cours de l’action se dessinent les personnages de Un divorce. L’étude en est si poussée qu’ils nous sont bientôt familiers comme les êtres avec qui nous avons longtemps vécu, et dont le passé nous est entièrement connu. Chacun de leurs actes s’explique aussitôt pour nous, grâce à ce que nous savons de leur formation intellectuelle ou sentimentale et des circonstances qu’ils ont traversées. Chaque mot est un indice du travail intérieur, révèle des dessous de conscience, ouvre des perspectives sur des lointains de réflexion ou de souffrance. La pièce de MM. Bourget et Cury peut avoir d’autres mérites ; au point de vue de l’art, la merveille en est cette intensité de vie prêtée à des êtres imaginaires.

Encore fallait-il trouver un moyen de réunir ces individus venus de coins si différens de la société, aménager un terrain où pussent se rencontrer sans invraisemblance le libre penseur, le prêtre, le petit intellectuel bourgeois et la jeune anarchiste. C’est, me dit-on, M. Cury qui a eu l’idée d’ajouter, aux personnages du roman, celui de la vieille Mme Darras ; s’il en est ainsi, son intervention a été vraiment efficace : elle a permis à M. Bourget d’apercevoir tout de suite la forme scénique que pouvait prendre son œuvre.

Donc, la vieille Mme Darras, la mère du libre penseur, a été gravement malade. L’étudiante en médecine, Berthe Planat, l’a soignée avec une belle conscience professionnelle, et l’a vraiment arrachée à la mort. Toute la famille éprouve pour la jeune fille de la gratitude et du respect. Chez Lucien, qui a rencontré Berthe au chevet de sa grand’mère, il est naturel que ces sentimens se changent en amour. Pareillement se trouvent légitimées les visites du prêtre, et il est tout simple que la femme de Darras se confie à lui et lui demande secours dans sa détresse morale. Dès le début de la pièce, on est très frappé de l’espèce de solennité avec laquelle ce prêtre énumère tous les malheurs que le divorce entraîne-après soi ; ces paroles, qui sont une prédiction, donnent en effet à la pièce sa véritable signification et lui impriment un caractère de tragédie. Le hasard, se révélant par des coups de théâtre, est le dieu du mélodrame ; au contraire, la présence toujours devinée d’une force invisible, fatalité, providence, logique immanente des choses, qui domine et dépasse chacune de nos volontés particulières et relie les actes, en apparence isolés, dans la chaîne ininterrompue de » causes et des effets, voilà ce qui donne à une pièce, antique ou moderne, l’allure tragique… Clairvoyant, mais