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Basiliola, enivrée d’une jouissance meurtrière, les tue l’un après l’autre, en nommant, chaque fois, celui qu’elle vise : jusqu’à ce qu’il ne reste plus qu’un seul des prisonniers, un beau jeune homme dont elle ignore le nom. Celui-là demande quelques instans de répit, pour pouvoir entasser les cadavres de ses compagnons, et, grimpé sur ce piédestal, la mieux voir, tandis qu’elle dirigera sa flèche contre lui. Un dialogue ardemment amoureux s’engage entre la belle tueuse et cet inconnu ; et Basiliola, dans un tendre élan, couvre de baisers la pointe de la flèche dont elle va lui envoyer, droit au cœur, la caresse enflammée. Que l’on se représente l’effet de cette scène, entremêlée encore des plus magnifiques chants latins de la liturgie catholique : car toujours, à travers la tragédie de M. d’Annunzio, un chœur de prêtres et de fidèles oppose sa voix aux clameurs, toutes païennes, des héros et des comparses de l’action, ce qui donne l’idée singulière d’un Colisée où se dresserait en permanence la croix de Constantin au milieu des plus féroces combats de chrétiens et de lions !


Virgo singularis,
Inter omnes mitis,
Nos, culpis solutos,
Mites fac et castos !


chante doucement ce chœur, dans le lointain, pendant que Basiliola, tout excitée de sa rencontre avec les prisonniers, s’amuse maintenant à dompter l’âme hautaine du triomphateur Marco Gratico, et, après l’avoir affolé de la vue de sa chair découverte, l’oblige à s’agenouiller humblement devant elle.

Le second épisode, lui, n’est guère composé que d’un seul « numéro, » et moins imprévu que la scène du meurtre des prisonniers, mais non moins saisissant dans sa violence sensuelle. Comme elle a séduit le guerrier et « navarque » Marco Gratico, Basiliola s’est conquis le cœur, jusqu’alors invincible, de l’évêque Serge, frère de Marco ; et désormais, le temps est venu, pour les deux frères, d’assouvir la haine réciproque que la perfide maîtresse a su leur inspirer. Nous assistons d’abord à un étrange festin, où l’évêque, entouré de tous les dignitaires de son église, et toujours stimulé par Basiliola, déborde en un torrent de blasphèmes, en même temps qu’une foule dévote, dans la cathédrale, invoque les foudres du ciel contre les sacrilèges. Sans cesse les convives du banquet se grisent et deviennent plus bruyans, sans cesse nous révélant plus à nu la bestialité de leurs âmes barbares ; mais aussitôt que l’évêque voit arriver son frère, sa