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les plus excitans se démodent et meurent, d’une génération à l’autre, fatalement condamnés à ennuyer le public du lendemain autant qu’ils ont ravi celui de la veille. Et je crains bien qu’il n’en soit ainsi de la Nef, malgré toutes les précieuses qualités poétiques que son auteur y a déployées. Un jour viendra où les artifices sensuels que j’ai décrits paraîtront insuffisans, et emporteront avec eux, dans l’oubli, jusqu’aux images les plus délicieuses des vers et jusqu’à leur musique : mais, au contraire, les années passent et passeront encore sans nuire le moins du monde à la force expressive de cette Fille de Jorio où M. d’Annunzio n’a rien mis que son génie de poète, et ne s’en est servi que pour traduire des sentimens d’une vérité et d’une passion immortelles. Comment un homme d’une intelligence aussi avisée ne comprend-il pas l’enseignement qui découle, pour lui, de la vitalité merveilleuse de l’unique pièce « purement humaine, » et, avec cela, purement chrétienne, qu’il nous ait donnée ? Et pourquoi, puisque le voici maintenant disposé à écrire des prières, — comme celle qu’il vient de publier en tête de sa Nef, — pourquoi ne se hâte-t-il pas d’oublier enfin son « nietzschéisme » et son « paganisme, » décidément bien usés, pour revenir à cette inspiration religieuse qui, depuis la Divine Comédie jusqu’aux Fiancés, et jusqu’à la Fille de Jorio, nous a valu les manifestations les plus parfaites et les plus durables de l’âme littéraire de sa race ?


T. DE WYZEWA.