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Page:Revue des Deux Mondes - 1908 - tome 43.djvu/960

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vigoureusement et spirituellement justice de cette ineptie, qui n’a cours que chez nous : on s’en moque en Allemagne. L’armée vaudra-t-elle mieux le jour où l’instruction y aura été partout abaissée pour devenir plus facilement uniforme ? La vérité, au contraire, est que, dans une armée, l’élément plus fort attire à lui l’élément plus faible et le relève : qu’adviendra-t-il lorsque tous les élémens seront également faibles ? Sera-ce vraiment une consolation de pouvoir dire qu’ils sont homogènes ? M. le ministre de la Guerre s’est tenu dans ces sophismes. Quant à M. le président du Conseil, il a mis beaucoup de verve et d’esprit à prouver qu’il n’avait pas compris un seul mot des discours de MM. Mézières, de Freycinet, Langlois et Waddington. Après avoir rappelé l’audace heureuse avec laquelle on a diminué le service actif de tant de manières différentes, il s’est étonné qu’on se soit arrêté devant les réserves comme devant un temple avec un pieux scrupule de conservation. Il ne s’arrête, lui, devant rien, et il propose d’appliquer aux réserves le même esprit de réforme qui a si bien réussi, a-t-il dit, dans l’armée active. Ainsi c’est en vain que M. Mézières, M. de Freycinet, M. le général Langlois ont montré que c’est précisément parce qu’on avait affaibli l’armée dans un sens qu’il fallait la fortifier dans un autre, afin de rétablir l’équilibre, et que ceci était la condition de cela. — Pourquoi donc ? a demandé ingénument M. Clemenceau : et l’homogénéité, qu’en faites-vous ? Pourquoi les réserves seraient-elles plus respectées que le reste de l’armée ? Ce ne serait ni égalitaire, ni démocratique. — Enfin il a fait valoir l’argument politique et électoral que les autres orateurs avaient jugé au-dessous des intérêts en cause. Il s’est vanté d’orienter le Sénat « non seulement vers l’accord des deux Chambres, mais, ce qui est autrement important, vers l’accord du Parlement et du pays. C’est là, s’est-il écrié, qu’il faut en revenir. »

Qu’est-ce à dire ? Sans doute la volonté du pays doit prévaloir, mais il faut l’éclairer et l’avertir. Le pays, livré à certaines tendances que le socialisme encourage et développe, s’attache de plus en plus à deux idées principales, dont l’une consiste à ne plus payer d’impôts et l’autre à ne plus faire de service militaire. M. Caillaux travaille à la satisfaction de la première, et M. le général Picquart de la seconde. En ce qui touche le service militaire, moins on lui en demandera, plus le pays sera content, et il le sera tout à fait lorsqu’on ne lui en demandera plus du tout. Il sera alors pleinement heureux et trouvera que les choses vont le mieux du monde, si nous n’avons pas la guerre, ou plutôt jusqu’au jour où nous l’aurons. Mais alors, qu’arrivera-t-il