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Page:Revue des Deux Mondes - 1908 - tome 44.djvu/131

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officielle, et nullement réelle. Tout consiste en ce que le dictateur est devenu mamamouchi, croyant avoir acquis l’hérédité d’après le vœu des paysans français, dont la décision n’est pas plus efficace que s’ils lui avaient voté deux cents ans de vie ou l’exemption de la goutte. Ce jeu à l’Empire sera sans doute fort dispendieux, et son issue sera tragique, mais sans qu’il en soit plus sérieux. La royauté française fut irrévocablement abolie le 10 août 1792, après un siècle de putréfaction croissante, et jamais elle ne fut rétablie ensuite, malgré les fictions officielles. L’illusion actuelle sera la plus vaine et la moins durable de ces apparences théâtrales. Si nous en devons être justement honteux, il faut surtout en reconnaître la source dans le manque total de foi sociale chez le prolétariat dirigeant. C’est donc à nous qu’il appartient de lui procurer enfin des convictions inébranlables et universelles, qui rendront ensuite impossibles de telles oscillations. Il pense maintenant davantage qu’il ne put le faire depuis soixante ans, et la parodie qui va momentanément trôner ne peut que le disposer mieux aux profondes réflexions sociales. Maintenant que la doctrine régénératrice est construite, et qu’il faut seulement la propager par des applications décisives, l’absence même de convictions qui constitue le mal doit faciliter le remède, en permettant aux hommes vraiment régénérés de prévaloir dans ce milieu passif, aussitôt qu’ils seront assez résolus, sans être même fort nombreux. Ne visons point à convertir la multitude, mais seulement mille personnages choisis, émanés de toutes les classes actuelles, et surtout du prolétariat. Parmi ceux-là, nous en trouverons deux cents propres à l’activité politique : or c’est là le nombre que j’ai toujours indiqué pour le fond essentiel de notre gouvernement préparatoire, dont les autres fonctionnaires seront de purs administrateurs, ainsi dirigés énergiquement. Quand le positivisme acquerra cette faible extension numérique, il s’emparera dignement de l’autorité en France, suivant la proclamation décisive que j’ai reproduite au début du Catéchisme[1]. Or, pour obtenir cela, le zèle et la persévérance chez de dignes apôtres importent davantage que les expositions solennelles dont nous allons être probablement privés sous le mamamouchat.


Quelle que puisse être l’efficacité de son intervention, Comte persiste dans son rôle de « conseiller systématique. » Y renoncer, ce serait trahir son « devoir positiviste. » Dans une lettre postérieure de près d’un an à la précédente, il précise davantage les attributions des pouvoirs publics, telles qu’il les entend. La dictature, dans la forme qu’elle s’est donnée, lui paraît un mensonge : elle prétend greffer une monarchie sur une situation réellement et irrévocablement républicaine.

  1. « Au nom du passé et de l’avenir, les serviteurs théoriques et les serviteurs pratiques de l’Humanité viennent prendre dignement la direction générale des affaires terrestres, pour construire enfin la vraie providence, morale, intellectuelle et matérielle ; en excluant irrévocablement de la suprémation politique tous les divers esclaves de Dieu, catholiques, protestans ou déistes, comme étant à la fois arriérés et perturbateurs. »