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romanciers originaux employer leur art ironique et subtil à écrire des romans déconcertans, comme le Bubu de Montparnasse dû à M. Charles-Louis Philippe, ou comme le Tigre et Coquelicot signé par M. Charles-Henri Hirsch, qui sont narrées avec quelques qualités de style, les véritables éphémérides des hors la loi et de la crapule. Des lettrés, enfin, se réclamant de leur sincérité et de leur ingénuité de nature, affirment que tout être humain a le droit de dire ce qu’il a vu, de décrire tous les milieux qui ont façonné son moi et toutes les influences qu’il a subies, — eût-il assisté aux pires débauches, eût-il vécu dans une atmosphère irrespirable de pourriture, eût-il enduré des contacts inavouables. — Si l’un d’eux est un écrivain de génie, il peut lui arriver alors de créer des livres dont l’émouvante et exécrable ardeur énerve et révolte. Mais le cas est rare, et l’écueil le plus redoutable de cet appel fait aux séductions de la décadence réside dans l’imitation imbécile et plate que cherchent à réaliser des scribes du dernier ordre, innommables ravaudeurs du vice, séduits par le succès de quelques privilégiés.

La fortune du roman psychologique n’a point subi un retour aussi défavorable que celle, du roman naturaliste. Si ses excès ont fatigué les lecteurs qui veulent surtout trouver dans le récit imaginatif un divertissement, l’influence de ses promoteurs demeure plus actuelle et plus durable, aujourd’hui même, que l’action déjà étrangement caduque des naturalistes exagérés.

Et, d’abord, n’est-ce pas à l’école de M. Paul Bourget qu’il faut attribuer l’honneur, pour le roman français à la fin du XIXe siècle, d’avoir prêté à la vie de l’âme et à la mentalité des personnages mis en scène, une observation plus exacte, plus intuitive, et une attention plus sympathique ? N’est-ce pas la réaction provoquée par lui qui a réintégré dans le roman le souci du sentiment poétique et l’élégance qui substitue à la crudité des termes certaine préoccupation cérébrale désormais muée en ironie, — une ironie que nous apprécions d’autant plus qu’elle éloigne l’écrivain comme le lecteur des bassesses recherchées autrefois ?

S’il n’existe plus à proprement parler d’écoles ou, du moins, s’il est vrai de dire qu’aucune école ne peut prétendre conduire le mouvement actuel, il s’est formé des groupemens, sortes de