Page:Revue des Deux Mondes - 1908 - tome 44.djvu/182

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

de la patrie que les racines d’un peuple vont chercher la sève. »

« Comme nous serions ordonnés et plus puissans, dit Saint-Phlin (l’un des héros des Déracinés), si nous comprenions que les concepts fondamentaux de nos ancêtres formeront les assises de notre vie ! Mis à même de calculer les forces du passé qui nous commandent, nous accepterions, pour en tirer profit, notre prédestination… Un jeune être isolé de sa nation ne vaut guère plus qu’un mot détaché d’un texte… »

« Notre conscience individuelle nous vient de l’amour de notre terre et de nos morts. » Cette formule se trouve sans cesse sous la plume de M. Barrès. La vérité qu’elle renferme, Sturel, Rœmerspacher la touchent du doigt lorsqu’ils voyagent hors de France, le premier en Italie et le second en Allemagne. En comprenant l’âme de ces pays étrangers, ils comprennent mieux aussi leur patrie et que tout être vivant naît d’une race, d’un sol, d’une atmosphère… Si donc l’on veut réaliser la vie dans sa plénitude, il faut commencer par reconnaître les liens qui nous relient à la terre où nous sommes nés, à la race dont nous sommes issus. Loin de briser ces liens, il importe de les consolider, car ils sont la chaîne qui nous empêchera de nous égarer. Attachés au passé, nous entreprendrons de préparer un avenir qui s’harmonise avec lui. Ainsi, agrandissant notre vie personnelle, nous sentirons des milliers de vies mêlées à la nôtre. Ceux qui savent donner une expression ou une expansion nouvelle à ces vies semblables, issues des mêmes forces nationales, sont comme la première vague d’un fleuve débordé sur la plaine : elle croit entraîner la puissance même qui la pousse. »

« La Terre et les Morts, c’est le leitmotiv qui anime la pensée de M. Maurice Barrès dans la trilogie des Déracinés, de l’Appel au soldat et de Leurs figures[1]. »

Nous admirons dans les Déracinés une belle langue, mêlant à une fine ironie un lyrisme contenu. Elle abonde en images neuves et plastiques. Peut-être l’action, que nous trouverons plus rapide dans Au service de l’Allemagne, est-elle ici trop étouffée par les biographies ou par les spéculations métaphysiques. Mais, au-dessus de ces digressions ou de ces discussions, planent des tableaux grandioses. Aux développemens un peu abscons, se mêlent des anecdotes spirituelles, — sinon

  1. Henry Bordeaux.