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Page:Revue des Deux Mondes - 1908 - tome 44.djvu/184

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L’esprit social et traditionaliste a inspiré une autre œuvre encore à M. de Vogué. Qu’est-ce que le Maître de la Mer, sinon une peinture vive et imagée de la lutte entre l’idéal archaïque de chevalerie et de désintéressement, gardé par le vieux monde comme un legs des temps anciens et, d’autre part, l’esprit d’arrivisme utilitaire, l’esprit prosaïque et niveleur qu’un homme du Nouveau-Monde incarne ici avec prestige ? Vigoureux et neuf, ce roman offre de belles images ; l’intérêt y est entretenu par une continuelle évocation des problèmes du temps présent : celui, surtout, de savoir si la civilisation à outrance, confinant à la cruauté froide des époques barbares, aura raison de la civilisation généreuse et policée née du christianisme.

Traditionalistes au même degré, et, pour arriver à décrire tous les mouvemens de l’histoire contemporaine, provoquant de constans débats entre les idées contradictoires dont le monde moderne est travaillé, tels nous apparaissent divers écrivains dont quelques-uns sont depuis longtemps des maîtres.

Dans ce vaste ensemble que nous offre le roman provincial au cours des années écoulées, MM. Bazin, Bordeaux, Boylesve peuvent être tenus pour les chefs d’un régionalisme littéraire auquel nous rattacherons encore M. Louis Bertrand dont le roman de l’Invasion eut récemment un très franc succès, mais que déjà ses premiers livres la Cina, le Sang des Races, le Rival de Don Juan avaient mis en vedette comme un écrivain d’avenir. Nous lui joindrons encore MM. J. Ageorges, J. Viollis, E. Guillaumin, Francis Jammes, E. Moselly et les conteurs belges qui, depuis MM. Camille Lemonnier, G. Eekhoud, L. Courouble et Virrès, chantres des Flandres, jusqu’à MM. des Ombiaux, Delattre, Bency ou H. Krains, enfans enthousiastes de la Wallonie, sont avant tout des régionalistes.

M. René Bazin pourrait se rattacher aux romanciers sociaux, puisqu’il analysa avec une émotion ennoblie de pitié et colorée de réalisme, la condition si attachante des ouvrières de la mode dans De toute son âme ; la dure et humble destinée des nourrices « déracinées » dans Donatienne ; la grave question, toujours actuelle, de la ruine agraire par l’exode du paysan vers la ville dans la Terre qui meurt. D’autre part, en écrivant l’Isolée, il a fixé un épisode douloureux et tragique de la persécution