Aller au contenu

Page:Revue des Deux Mondes - 1908 - tome 44.djvu/187

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

que son esprit s’aiguisait d’ironie et se formait par une observation directe, l’émotion traditionaliste entrait en lui et agissait fortement sur toutes ses facultés. A son tour, il a vu dans le pays natal la terre sacrée où germent les vertus sublimes et d’où viennent les nobles aspirations parce qu’elle est imprégnée de toute la grandeur héroïque des ancêtres. Il a vu dans la maison paternelle le port d’attache de l’homme, tendre abri aux heures de sérénité, refuge unique dans les jours de détresse. Il a pénétré, enfin, la splendeur du dévouement, l’âpre et forte ivresse du renoncement et du sacrifice, ainsi que la sainte efficacité de la douleur. Depuis le Pays natal jusqu’aux Yeux qui s’ouvrent, M. Bordeaux a gardé l’horreur d’être un amuseur futile ; il a eu le souci d’être un remueur d’idées, un éducateur d’âmes, un excitateur d’énergie. Et, précisément à l’heure où les Déracinés de Barrès dénonçaient le mal de l’exode du sol familial vers la grande ville, le Pays natal disait l’action réconfortante opérée sur une âme par le retour au foyer après les redoutables aventures parisiennes. Au surplus M. Henry Bordeaux ne s’intéresse qu’aux figures vraies et vivantes : il aime la vie, il comprend la passion de vivre. C’est pourquoi les héros de ses romans sont toujours des passionnés. Mais cette vie ardente que l’auteur de la Peur de vivre aime à décrire, c’est la vie du devoir et non la vie éparpillée et trépidante de l’agitation dissipée. Les « vivans » qu’il met en scène sont [presque tous préoccupés du devoir. L’amour entravé par les prescriptions morales éternelles, ou la passion aux prises avec les difficultés de l’existence matérielle si fréquemment hostile aux vœux du cœur, tel est le grand élément sentimental de son œuvre. Dans toute celle-ci, l’intérêt des luttes évoquées se concentre sur les mouvemens secrets des âmes où ces luttes se livrent. Il a dès aujourd’hui une action sociale nettement définie dans le roman provincial qui, sous sa plume, conclut toujours à l’honneur de la tradition et des intérêts familiaux.

C’est la valeur sociale des romans de M. Bordeaux qui leur a mérité cette attention sympathique, acquise également aux récits provinciaux de M. René Boylesve par des qualités purement littéraires et par leur goût d’humanité saine et franche. Mademoiselle Cloque, la Becquée, l’Enfant à la balustrade, le Bel avenir, ont apporté dans le roman moderne de mœurs provinciales une note très neuve. M. Boylesve est un vrai classique :