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sur la question, M. Marcel Schwob s’exprimait comme suit :

« Je disais tout à l’heure que je faisais aux romancières une place à part. En effet, il faut bien convenir qu’elles occupent aujourd’hui la première : la comtesse de Noailles, G. d’Houville, Fœmina, Marcelle Tinayre. Alors un problème se pose : Pourquoi les femmes ont-elles aujourd’hui une place prépondérante dans le roman ?

« C’est assez difficile à expliquer. Pour ma part, je m’imagine que, nouvelles venues, elles ont plus de patience, plus de volonté d’arriver. Et puis, je crois qu’elles sont plus instruites. A l’époque parnassienne, les écrivains avaient une culture : ils avaient un grand passé de lectures, une éducation d’hommes de lettres. Voyez Leconte de Liste, France, Heredia, Mallarmé. Voilà ce qui manque à nos auteurs d’aujourd’hui. Actuellement, des écrivains de grand talent n’ont pas cette éducation. Ils ont un outil, mais il leur manque quelque chose. Ce « quelque chose, » je crois que les femmes l’ont, parce qu’elles ont très justement cru qu’elles ne pourraient pas s’en passer. Marcelle Tinayre a appris le latin, Mme de Noailles a lu Ronsard, Mme de Régnier a reçu de son père une forte éducation. Voilà, à mon avis, une des raisons de la supériorité des femmes dans le roman. Mais il y en a une autre, au moins chez Mme de Régnier et chez Mme de Noailles. C’est qu’elles ont trouvé un nouveau point de vue, le point de vue féminin. Depuis qu’il y a des romans, depuis l’Odyssée, le romancier se place à son point de vue d’homme. La femme représente dans un roman l’objet esthétique. Et jusqu’à présent, quand des femmes faisaient des romans, elles se plaçaient au même point de vue puisqu’elles imitaient l’homme : c’est, notamment, le cas de George Sand. Au contraire, dans la Nouvelle Espérance, on a vu, pour la première fois, une femme se placer à son point de vue de femme : dans ce roman, c’est l’homme qui devient l’objet esthétique. Et cela est une véritable révolution. »

Nous ne pouvons entreprendre de caractériser même rapidement chacune de ces « authoresses. » Il nous suffira de dire que, dans Hellé, dans l’Oiseau d’orage, dans la Vie amoureuse de François Barbazanges, dans la Maison du péché surtout et dans la Rebelle, Mme Marcelle Tinayre a dépassé la plupart des romancières de son temps. Empreintes d’amertume, de poésie et de lyrisme, empreintes aussi d’une mélancolie tragique et de