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Page:Revue des Deux Mondes - 1908 - tome 44.djvu/228

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quinte obstinée où bientôt une neuvième s’ajoute, formant un accord étrange, sur lequel passent et repassent des groupes ou plutôt des couples de notes inquiètes ; rien, moins que rien, ces premières mesures de récitatif ou de psalmodie et ces harmonies changeantes sous une note répétée, égale et pensive. Mais reportez-vous à cinquante ans en arrière, ouvrez toutes les partitions d’alors, vous n’y trouverez nulle part le caractère, et comme la teinte, ou la demi-teinte, de cette sensibilité et cette poésie.

Elles sont d’abord, cette poésie et cette sensibilité, d’ordre purement intérieur. Ne l’oublions jamais, l’un des mérites éminens de Gounod fut de ramener la musique, la nôtre, du dehors au dedans. Rien que pour cette raison, — qui n’était pas la seule, — après l’apparition de Faust il devenait, je ne dis pas impossible, puisqu’on l’a pu, mais injuste, mais impertinent, d’appeler encore Auber le chef de l’école française. Sinon l’esprit de cette école, au moins son âme en avait désormais un autre. Chaque page ou chaque phrase de Faust apparaît comme un signe, un pas nouveau de ce mouvement vers le centre et de ce retour au cœur. L’acte du jardin le consomme et le consacre. A mesure qu’il s’avance, la musique nous presse et nous serre davantage. Son étreinte, il est vrai, n’est pas, comme celle d’un Tristan, terrible et presque mortelle. Bientôt pourtant, et de plus en plus, elle nous pénètre, elle nous atteint jusqu’en notre fond, que désormais elle occupe et possède tout entier.

Autant qu’intérieure, la musique de Gounod est familière. Ce fut encore une marque de sa nouveauté, et c’est une raison aussi de son charme. Elle vint, non pas le moins du monde abaisser, mais, plus originale en ceci que celle de Berlioz même, rapprocher de nous et détendre le grand opéra français, l’animer, sans recourir à l’histoire, d’une vie aussi vraie, mais plus humble et ressemblant davantage à notre vie. Reprocher, comme on le fait souvent, à Gounod, d’avoir détaché du vaste poème de Goethe un épisode unique, — et volontiers on ajouterait insignifiant, — c’est méconnaître la nature du musicien. Se connaissant mieux lui-même, il s’est restreint à ce qu’il sentait convenir mieux aussi à la discrétion, à l’intimité de son propre génie. Or, cet élément par lui séparé et retenu, cette triste et quasi banale aventure, cette pauvre histoire d’amour et de mort, de baisers et de larmes, ne vous semble-t-il pas que, par la simplicité, la généralité même, elle rentre dans l’ordre des sujets les mieux faits pour la musique et dans cette catégorie de l’idéal que Wagner appela « le purement humain ? »