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du carrosse royal, tant le maintien du Roi et de la Reine y avait commandé le calme.

Il n’entre pas dans mon sujet de parler en détail de ces terribles journées. J’ai pourtant été témoin oculaire de la ridicule ovation subie par M. de Lafayette, traîné dans un fiacre dont on avait enlevé l’impériale et où s’était attelée une cohue de vagabonds, jusque dans la cour de sa maison que mes fenêtres dominaient.

Je l’ai vu se présenter au balcon, pâle, tremblant, et adresser d’une voix émue une allocution paternelle à ses « chers camarades, » en les suppliant surtout de se retirer bien vite. Il avait grande hâte à s’en débarrasser, d’autant qu’il les avait entendus délibérer s’il ne serait pas opportun de le tuer pour faire de son cadavre un appel à la révolte ; et qu’il les en savait bien capables dans l’excès de ces vertus républicaines où il les avait nourris.

Sa mort a été déterminée par la fatigue d’un autre convoi émeutier, — celui de M. Dulong, — où il voulut assister. Mais il ne s’est jamais relevé de son humiliant triomphe du 4 juin. Il était de trop bon goût pour n’en point savourer péniblement tout l’opprobre.

Quoique, dès la première nuit, les factieux eussent été contraints à se concentrer dans le quartier Saint-Merri, dont les rues tortueuses leur étaient favorables, et que là même ils ne trouvassent aucune sympathie parmi les habitans, ils étaient nombreux et déterminés.

Des bruits sinistres se répandaient. Les troupes se sentaient intimidées par les souvenirs si récens du blâme jeté sur elles à la révolution de 1830 ; tireraient-elles sur ceux qui, encore cette fois, s’intitulaient du nom de citoyens et de patriotes ?

Tout dépendait de l’élan des bataillons de la garde nationale. La présence du Roi le leur communiqua. Dès en arrivant le soir, il s’était montré aux légions réunies sur le Carrousel. Le bruit de son retour circula rapidement, et le point du jour vit les maisons s’ouvrir pour laisser sortir des hommes armés prêts à défendre l’ordre public et la société de leur volonté, de leurs bras, et de leur sang. Cette dernière condition ne fut malheureusement que trop accomplie…

Le bruit s’est beaucoup répandu alors que la duchesse de Berry s’était très rapprochée de Paris et y était même entrée. Je