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Les belles années 1848 et 1849, où l’on avait vu les hommes de science, les hommes d’œuvres et les hommes de lutte, fraterniser dans les meetings, ne devaient pas avoir de lendemain : l’heure était proche où beaucoup de savans allaient bouder ostensiblement, pour les châtier de leur « ultramontanisme, » les professionnels de la politique et de l’action ; et puis aux bouderies succéderaient les ruptures, aux ruptures les combats. Plusieurs de ces savans, si ombrageux à l’endroit de Rome, se trouveraient être des prêtres, chargés, par leur office même de professeurs, de former d’autres prêtres. Rome alors s’inquiéterait, s’indignerait ; la distance même aggraverait la mésentente ; et cette Allemagne, qui venait de montrer à l’univers chrétien comment une Église se libère et comment la conscience catholique devient une force sociale, sentirait peser sur d’illustres érudits les défiances tenaces de l’autorité romaine. Cependant l’action catholique et une certaine pensée catholique poursuivraient leurs voies de plus en plus divergentes ; et cette pensée catholique, qui devait plus tard s’intituler « vieille-catholique, » machinerait contre le concile du Vatican une formidable opposition, tandis que l’action catholique, disciplinant de longue date prêtres et fidèles, préparerait la soumission de l’Allemagne aux décisions conciliaires. Mais aussitôt, cette pensée, qui prétendrait n’avoir pas été réfutée et qui pourtant se sentirait vaincue, chercherait sa revanche en appelant le bras séculier contre l’« ultramontanisme » triomphant, couronnerait ses plaidoyers pour la liberté de la science en suscitant des menaces contre la liberté de la foi, et tenterait de mettre entrave à l’action catholique en secondant le Culturkampf.

Les crises intellectuelles qui divisèrent alors le catholicisme allemand eurent une répercussion prolongée dans la vie du nouvel Empire, et l’on ne saisirait pas dans toute leur complexité les lointaines origines du Culturkampf, si l’on dédaignait d’assister à ces débats théologiques. Ils sont déjà loin de nous : que de flux, depuis lors, et que de reflux aussi ! Et parce qu’ils sont loin de nous, on peut les raconter, — nous l’espérons du moins, — sans se laisser distraire par les préoccupations de l’heure présente : d’autant que le rapprochement entre deux époques risque toujours de troubler la perspective et de les faire mal comprendre l’une et l’autre, surtout la plus ancienne.