Page:Revue des Deux Mondes - 1908 - tome 44.djvu/284

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

allemande défiait triomphalement l’incroyance, et beaucoup d’âmes pieuses en étaient fières. L’évêque Arnoldi signifiait à Rome qu’il y avait là une victoire acquise. « L’Allemagne catholique, déclarait-il, ne peut pas se contenter d’une demi-philosophie, comme les Espagnols, comme les Italiens, car les attaques capitales contre l’Eglise sont ici purement philosophiques, et pour y répondre formellement, il faut une philosophie proprement dite, une philosophie de valeur. Telle, est celle de Günther, qui a déjà essayé ses forces contre l’hégélianisme. » — « Vis-à-vis du protestantisme, disait de son côté le professeur Baltzer, l’école de Günther fortifiera notre Église et la fera vaincre. »

C’est l’habitude séculaire de Rome, lorsqu’on lui propose des armes nouvelles, d’avoir moins égard à ce qu’elles ont d’efficace ou d’opportun qu’à leur légitimité et à leur aloi. Peu d’années auparavant, Rome, combattue par le rationalisme, avait eu l’apparente bonne fortune de voir accourir vers elle des traditionalistes, des fidéistes, qui se targuaient d’humilier jusqu’à l’anéantissement l’insolente raison, et le Saint-Siège, écartant cette chance comme un péril, avait défendu contre ces alliés trop empressés la valeur de l’esprit humain. Voilà qu’aux antipodes Gunther survenait, et présentait comme le propre fruit de la raison ces mystères révélés que le rationalisme attaquait : il offrait à l’Eglise des présens imprévus ; elle les examinait, inquiète, et bientôt les repoussait.

Le günthérianisme ne visait à rien de moins, comme l’expliquaient Baltzer et Knoodt à Geissel, archevêque de Cologne, qu’à devenir la philosophie officielle de l’Église : il voulait être l’Église elle-même, « l’Église pensante », auxiliaire ou, pour mieux dire, préceptrice de l’Église enseignante. Ces hyperboles, moins imputables à Gunther qu’à ses disciples, effrayaient Geissel, que choquaient aussi, dans cette école, un certain manque de charité intellectuelle, un insultant dédain pour toute objection. « Dieu puisse éclairer Diepenbrock et Geissel, écrivait Gunther dès 1850, pour qu’ils n’omettent pas, à Rome, de parler au nom de la science ! » Mais cette « science, » telle que les gunthériens l’étalaient, apparaissait à Geissel comme une menace, et pour la tradition catholique, et pour la prérogative qu’a l’évêque d’être juge de la foi. Et précisément à la même heure, un travail dont Geissel se réjouissait s’accomplissait à Mayence, à Bonn, à Rome, pour rendre à l’Allemagne