Page:Revue des Deux Mondes - 1908 - tome 44.djvu/292

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

frondeurs, philosophes émancipés, se dénonçaient entre eux ces zelanti, comme les fourriers d’une sorte de terreur, dans laquelle les victimes imputaient volontiers aux Jésuites le rôle de bourreaux : les suspicions créaient les suspicions.

Un mot d’ordre, alors, s’accréditait de plus en plus, dans une partie de l’opinion catholique allemande : Rome, disait-on, ne connaît, ni ne comprend, ni n’aime l’Allemagne. On descendait ainsi du domaine des idées pures sur un terrain presque patriotique : les spéculations aventureuses, pour résister aux anathèmes, s’abritaient sous l’imposante rubrique de « pensée germanique, » de « pensée allemande ; » et les susceptibilités de l’orthodoxie ne se heurtaient plus seulement à des argumens ou à des feintes dialectiques, mais à d’autres susceptibilités à demi nationales. Une opposition se groupait et prenait corps, dans laquelle les plus passionnés accusaient Rome de haïr l’Allemagne, et les plus modérés, de l’ignorer.

Mais en fait, l’Allemagne elle-même, comment connaissait-elle Rome, et quels efforts faisait-elle pour la connaître mieux ? Une série de lettres écrites de Rome de 1853 à 1859 par le prêtre tyrolien lois Flir témoignent d’une façon singulièrement frappante combien certains Allemands avaient de peine à s’acclimater sur les bords du Tibre, et combien, même, leur bon vouloir était lent à s’y prêter.

Flir était un ecclésiastique irréprochable, dont Geissel, fort difficile en hommes, recommandait hautement la science et le caractère, les talens et l’attitude, et qui mourut à Rome recteur du collège de l’Anima et auditeur de rote. A son arrivée dans la Ville Eternelle, ses premières impressions avaient été franchement mauvaises. Mauvaises au point de vue esthétique : « Rome, comme ville, m’est une nausée, écrivait-il en 1853 ; les églises ne m’inspirent qu’antipathie. » Mauvaises au point de vue politique, et certaines de ses observations étaient susceptibles de réjouir les adversaires du pouvoir temporel.

Mauvaises enfin, — ce qui était plus pénible, — au point de vue religieux. « C’est ici pour la première fois, disait-il en 1854, que j’ai appris à estimer véritablement la science allemande… On trouve à peine, ici, ce qu’en Allemagne on nomme science… Avec cela, les Italiens ont un immense orgueil ; ils se réputent comme des savans infaillibles. J’ai çà et là laissé apercevoir mon avis contraire : on me regardait avec de grands yeux… Le