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On lui apprend que Gengis Khan vient de mourir et que son successeur, Oktar, est sur le point de se faire couronner. Fra Giovanni présente la lettre pontificale et l’accompagne de paroles engageantes. Oktar l’écoute et lui fait cette réponse : « Avec l’aide de Dieu, nous détruirons toute la terre, de l’Orient à l’Occident ! » paroles lapidaires, bien faites pour accréditer l’aphorisme de Hobbes, à savoir que l’homme est un loup pour ses semblables, homo homini lupus.

La mission du religieux était accomplie. D’abord traité avec égards, il fut bientôt réduit à souffrir la faim. Le 13 septembre 1247, il obtint enfin l’autorisation de quitter la capitale tartare ; il partit pour l’Europe avec quelques présens de l’impératrice mère. Fra Giovanni fut, à son retour, chargé d’une mission auprès de Louis IX, roi de France. L’accueil du doux monarque lui fit sans doute oublier celui d’Oktar. Il mourut sur le siège épiscopal d’Antivari, récompense de ses grands services.


VIII

Le caractère des hommes, leurs sentimens et leurs goûts, partant, leur manière de vivre et de se comporter dépendent de causes nombreuses, souvent cachées, parfois contradictoires. Pourquoi les gens de Pérouse se sont-ils signalés pendant plusieurs siècles par leur humeur querelleuse et intraitable, par leur esprit de violence factieuse et de domination ? La vieille cité ne commandait-elle pas une contrée bénie du ciel, une terre fertile en moissons, coupée de montagnes odorantes et de frais vallons ? N’est-ce pas à quelques lieues de ses murailles que « naquit au monde, » selon l’expression de Dante, « un soleil semblable à celui qui sort du Gange, » le doux, l’angélique François d’Assise ? Etait-ce donc la brutalité du moyen âge qui avait reçu, plus libéralement qu’ailleurs, droit d’asile parmi les Pérugins, ou bien le sang étrusque fermentait-il encore dans leurs veines, en dépit de tous les mélanges, y remuant le levain des passions ataviques ?

Par une rencontre non moins étrange, c’est du sein des populations ombriennes qu’est sortie une légion de peintres amoureux de la forme, entraînés vers l’idéal des extases mystiques, et c’est à Pérouse qu’ils se groupèrent. Ils sont bien les fils de l’heureuse Ombrie et les compatriotes du saint qui qualifiait de