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à côté de soi une formidable machine, actionnée par des myriades de chevaux-vapeur produits, selon les mœurs d’affaires américaines, par les capitaux unis de l’État et des grandes Compagnies, et fabriquant de l’immigration à haute dose, même parfois en sens inverse de quelques-unes de ses secrètes aspirations ? La machine marche, elle ronfle, elle est mise à une pression de plus en plus élevée, elle produit un rendement chaque année plus considérable avec une progression mathématique, tout comme les usines de pâtes alimentaires à présent actionnées par une portion de la cataracte du Niagara. Tout va bien, all right ! comme dit, toutes les deux phrases, chacun des habitans de l’Amérique du Nord. All right ! si ce n’est qu’au pied de cet effroyable engin, qui brise tout à son approche, s’est présenté un homme, bientôt quelques hommes, sans capitaux, qui, au nom de leur race, minorité qui va être écrasée, au nom de leur patrie, qui elle-même peut être détruite bientôt par la grande machine des capitaux, se sont juré, ne craignant rien et n’espérant rien de ses maîtres, de l’arrêter ou du moins de la maîtriser. Spectacle émouvant pour un Français, parce que c’est la lutte poignante, terriblement inégale en apparence, de l’idée pure contre la force, du vieil idéalisme français, avec son coin éternel de chimère, contre le réalisme du machinisme à la yankee. Rien en ce moment n’est aussi français là-bas que cette croisade désintéressée, chevaleresque, téméraire, ardente, logique à l’emporte-pièce. Aussi le mouvement « nationaliste » canadien, quoique l’on puisse discuter froidement tel ou tel article de son programme, nous a paru unanimement sympathique aux Français de France qui habitent le Canada : nous nous étonnerions s’il n’inspirait pas les mêmes sentimens à tous nos compatriotes de la vieille patrie.

Au mois de décembre dernier, le ministre fédéral de l’Intérieur a fait adresser une circulaire à ses agences ‘européennes pour restreindre un peu l’émigration pendant l’hiver 1907-1908 : tout émigrant, au débarqué, devra (contrairement aux émigrans des États-Unis) faire la preuve d’un engagement de travail immédiat ou produire une somme de 125 à 250 francs en monnaie canadienne[1].

M. Bourassa doit-il assez se consoler d’être « mort, » en

  1. Voir le Journal des Débats du 6 janvier 1908.