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romanesques citoyennes. D’ailleurs, des amours éclectiques, de galantes prouesses pour tous les genres de belles, sous toutes les latitudes, dans toutes les garnisons ! La légende s’en était mêlée, et la liste de ses victimes dépassait en longueur l’amusant catalogue de don Juan. La Parisienne, toutefois, et surtout la phryné, semblent avoir été son régal favori. « Je pourrais parier, affirmait-il, que des Champs-Elysées à la Bastille, toutes nos demoiselles de nuit ont eu l’honneur de me connaître. » C’était assurément beaucoup, même pour un pareil athlète. Au reste, possédant les mille fascinations qui troublent et font capituler des vertus plus farouches ! Poète en ses loisirs, il savait, rimaillant le bouquet à Chloris, rendre pensive, agitée, puis traitable, la pruderie des Lucrèce ; il troussait non moins lestement ces couplets égrillards qui se détaillent dans les senteurs du punch, sous la fumée des pipes. De plus, joli chanteur de salon, barytonnant et fioriturant comme un autre Martin. Sa voix profonde faisait bien des ravages, quand s’unissant aux soupirs de la harpe, il exhortait la femme sensible à oser connaître l’amour :


Le printemps vient : hâtons-nous d’être heureux !


Les maris, il est vrai, goûtaient peu ces mérites, mais Faublas ne daignait pas les apercevoir ; même il s’avisa, certain jour, de faire jeter au poste un dandin trop gênant : espièglerie à la hussarde…

Ils se résignaient donc. Mieux valait, d’ailleurs, pour un placide bourgeois, courber le front sous l’infortune que d’amener sur le terrain un diable d’homme, expert dans l’art de tuer. Très mauvaise tête, voire assez méchant cœur, le galant passait pour le plus raffiné duelliste de toute la cavalerie française. Sa main, de première force au jeu du sabre ou de l’épée, excellait à tailler « d’élégantes boutonnières ; » mais les Bercheny comme les Chamborand admiraient plus encore l’habile tireur de pistolet. Un maître incomparable, celui-là, un merveilleux artiste ! A vingt pas, disait-on, il coupait une fleur sur sa tige, ou de sa balle mouchait une chandelle. Mais hélas ! de si nobles talens l’avaient rendu par trop virtuose : le colonel faisait abus de son mérite. Pour la moindre goton, il prodiguait des gifles ; ses duels étaient non moins fréquens que ses bonnes fortunes : l’enfant chéri des dames marchait environné d’une auréole de sang… Aussi tant de fredaines et de faridondaines, d’ingénues subornées, d’épouses