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Page:Revue des Deux Mondes - 1908 - tome 44.djvu/511

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enjôlemens que ce laideron ensorceleur, Fortunée Hamelin. Lorsqu’elle mimait dans un salon le fameux « pas de châle, » un cercle se formait autour d’elle, et pour mieux voir l’aimée, les amateurs se hissaient sur les chaises. Bonne écuyère aussi, on la réputait pour sa maîtrise à conduire un cheval. Souvent, vêtue d’un travesti : culotte dessinante, redingote et spencer, l’amazone prenait part aux plus extravagantes cavalcades. En outre, de l’esprit, beaucoup d’esprit ; une verve incisive, une dent à l’emporte-pièce ! On citait ses bons mots, on colportait ses épigrammes. Ayant pratiqué tous les mondes, elle en connaissait le langage, et l’à-propos de sa causerie ébahissait ses adorateurs : « Incroyable ! Petite parole d’honneur : un génie incroyable ! » La déesse savait parler de l’Œil-de-bœuf avec Ségur, du cinq pour 100 avec Ouvrard et d’entrechats avec Trénitz !… Oui, certes, une femme de rare intelligence ! Ruinée à Saint-Domingue et séparée de son mari, la citoyenne faisait pourtant figure, occupait un hôtel, avait ses réceptions, tenait des assemblées. Comment ? Par quel miracle d’économie ? Assurément, sa chambre moresque et son lit à l’étrusque devaient receler de surprenans secrets.

En 1802 cependant, la délurée petite personne commençait à se transformer en femme politique…

La « femme politique » était alors, — a-t-elle beaucoup changé depuis ? — une assez bizarre créature, très attirante, fort captivante, mais bien dangereuse à fréquenter. Férue d’amour pour son gouvernement, et sans cesse aux écoutes, elle recueillait dans maints salons les propos séditieux, les « clabauderies, » les simples médisances, composait des rapports, les adressait à la police. Une espionne ? Oh ! non pas, mais une donneuse d’avis : elle renseignait et ne dénonçait pas. Pourtant, circonstance aggravante, ces femmes de tant de zèle cachaient très soigneusement leurs noms. Chaque jour arrivaient au ministère de la Police de nombreux poulets doux, fleurant la bergamote, signés Dumont ou bien Dupont, Estelle, Malvina ou Rosalie. Mais c’étaient là des cryptonymes qui sentaient le mouchard et masquaient souvent des dames de haut parage ou des bas bleus d’aimable renom. Fouché employait de grand cœur la femme politique, la traitait avec déférence, et parfois lui parlait d’amour. Il la voulait, cependant, d’apparence ingénue, — chanoinesse de Chastenay, par exemple, ou « belle à cheveux de soie » et