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jours d’hésitation, refuser l’honorable proposition du prince de Suède. Renonçant alors pour toujours à toute idée de s’engager dans de nouveaux liens, elle arrangea sa vie d’une manière à la fois douce et convenable. Elle résolut de passer les étés à Lobichau, cette même maison de campagne en Saxe dont j’ai parié, et de s’établir l’hiver dans une grande ville qui pût lui offrir les ressources nécessaires à mon éducation. Presque toute ma fortune était en Prusse, mon avenir devait naturellement m’y fixer ; ma marraine nous y appelait de tous ses vœux. Mes tuteurs, à la tête desquels était le Roi, montraient plus qu’un désir à cet égard, et ma mère, que des relations d’amitié avec plusieurs membres de la famille royale y attiraient, fixa son choix sur Berlin.

Peut-être n’est-il pas hors de propos de dire ici ce que j’étais, ou plutôt ce que je me souviens d’avoir été au moment où commence véritablement mon éducation. Petite, fort jaune, excessivement maigre, depuis ma naissance toujours malade, j’avais des yeux sombres et si grands qu’ils étaient hors de proportion avec mon visage réduit à rien. J’aurais décidément été fort laide si je n’avais pas eu, à ce que l’on disait, beaucoup de physionomie ; le mouvement perpétuel dans lequel j’étais faisait oublier mon teint blême, pour faire croire à un fond de force que l’on n’avait pas tort de me supposer. J’étais d’une humeur maussade et, à ma pétulance près, je n’avais rien de ce qui appartient à l’enfance. Triste, presque mélancolique, je me souviens parfaitement qu’alors je souhaitais mourir pour retrouver mon père qui, s’il avait vécu, m’aurait offert la protection dont je croyais avoir besoin. Du reste, j’étais parfaitement ignorante, quoique très curieuse, mon seul savoir se bornait à parler couramment trois langues : le français, que j’avais attrapé dans le salon ; l’allemand, qui m’arriva par l’antichambre, et l’anglais que j’apprenais à travers les gronderies et les coups d’une vieille gouvernante qu’un ami avait fait placer auprès de moi depuis ma naissance, et qui se maintenait dans la maison par la faiblesse de ma mère, à qui sans doute on laissait ignorer les traitemens fort rudes qu’elle exerçait envers moi.

Cette Anglaise n’était cependant pas une méchante personne ; mais dénuée, au plus haut degré, de toute espèce de sens