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Page:Revue des Deux Mondes - 1908 - tome 44.djvu/606

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utilité de la méthode évolutive serait, dans l’avenir, d’expulser de l’histoire de la littérature et de l’art ce qu’elles contiennent encore de subjectif. » J’en suis moins sûr qu’il ne l’était ; et si c’en était ici le lieu, je ne serais pas très embarrassé, je crois, pour montrer, par son propre exemple, que ce résultat désiré n’est point possible, ni peut-être souhaitable. Mais, dans sa haine de l’individualisme, il supportait malaisément les contradictions et les écarts du goût personnel[1]. Il allait jusqu’à écrire, en parlant de chacune des notices ou études qui composaient l’une des parties de son Manuel : « Naturellement, j’ai proportionné les dimensions de cette étude, aussi mathématiquement que je l’ai pu, à la véritable importance de l’écrivain qui en était l’objet. Je dis : mathématiquement, parce que nos goûts personnels, en pareille affaire, n’ont rien encore à voir… » Il rêvait de constituer la critique à l’état de science véritable. Chose curieuse, et peut-être contradictoire, l’autorité qu’il refusait à la science pure, aux sciences positives, il était tenté de l’attribuer à l’histoire littéraire et à la critique, telles qu’il les concevait. Et cela sans doute était un peu hasardeux. Mais on ne saurait nier, cependant, que l’ensemble de son œuvre historique et critique ne représente un effort très heureux pour restreindre la part du subjectif, et donc, de l’arbitraire, dans les jugemens de la littérature et de l’art.

Ferdinand Brunetière n’a-t-il pas d’ailleurs, sur quelques points de détail, appliqué sa méthode avec quelque excès d’intransigeance et de rigueur ? Je le crois volontiers, pour ma part. Désireux de ne retenir que les seuls écrivains, « dont il lui paraissait que l’on pouvait vraiment dire qu’il manquerait quelque chose à la « suite » de notre littérature, s’ils y manquaient, » « il y en a de très grands, disait-il, — pas beaucoup, mais il y en a deux : Saint-Simon et Mme de Sévigné, — dont je n’ai point parlé, parce que les premières Lettres de Mme de Sévigné, — n’ayant vu le jour qu’en 1725 ou même en 1734, et les Mémoires de Saint-Simon qu’en 1824, leur influence n’est point sensible dans l’histoire[2]. » Il avouait du reste, en note, que,

  1. Voyez à ce sujet l’article de Brunetière sur la Critique impressionniste (Essais sur la littérature contemporaine), son article Critique de la Grande Encyclopédie et la Préface qu’il a mise en tête du livre de M. Ricardou sur la Critique littéraire (Paris, Hachette, 1896).
  2. Il n’a rien dit non plus de Calvin ; mais c’est là, je crois, un oubli involontaire ; car il a parlé de lui dans le Discours.