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Page:Revue des Deux Mondes - 1908 - tome 44.djvu/701

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Je le rencontrai d’abord chez un de ses camarades. On dînait gaiement dans l’atelier aux murs blancs de chaux, tendus çà et là de ces tapis de laine rugueuse que tissent les paysans de la Sabine. Des bougies, des lanternes de papier éclairaient le repas. On parla de tout, même de musique, et d’un opéra d’Amphitryon, d’après Molière. L’auteur avait commencé de l’écrire, l’été, dans une des îles de l’Archipel. Était-ce Naxos, ou Délos, je ne sais. Mais j’entends encore de poétiques récits : le premier abord de ces rives fameuses et l’accueil d’un vieillard saluant le jeune étranger par ces mots homériques : « Que font les rois et y a-t-il encore des guerres ? » Puis c’était le travail parmi les ruines éclatantes, et l’écritoire, le papier à musique posé sur le tambour écroulé d’une colonne de marbre. Je me souviens aussi d’une partie de chasse, en mer, et d’une mouette blessée à mort et sanglante, que ses compagnes escortaient de leur vol, pour la pousser, la sauver peut-être, avec le vent de leurs ailes.

De l’Italie autant que de la Grèce, je trouvais, dans les propos de l’artiste, et l’intelligence et l’amour. Il était de ceux, très rares, qui savent non seulement regarder, mais écouter Rome : car elle a comme son visage, sa voix. Ainsi j’espérais beaucoup du jeune musicien et, sans rien connaître encore de son œuvre, il me plaisait d’imaginer ce que pourrait donner une sensibilité aussi vive, lorsque, au lieu de se traduire en paroles, elle s’exprimerait par les sons.

Je ne tardai guère à l’apprendre. Le jeune homme bientôt me pria de venir écouter un drame lyrique dont il avait écrit, sur un sujet espagnol, le poème et la partition. C’était au fond des jardins de l’Académie, en un pavillon retiré qu’on nomme San Gaetano. Nous avons passé là bien des heures, lisant et relisant ensemble cette Habanera qui tout de suite m’avait frappé. Heures brillantes du jour, surtout de certaines après-midi de dimanche, où les rumeurs d’une foule italienne, allant et venant sous la fenêtre, se mêlaient à la vie populaire de l’Espagne évoquée par les sons ; heures étrangement silencieuses des minuits romains, où le sombre éclat de cette musique paraissait plus sombre encore. L’œuvre peu à peu me devenait familière. J’en goûtais chaque fois davantage la force et le relief, la couleur et la vie. Aussi, réalisée au théâtre, ne m’a-t-elle point surpris. Elle m’a déçu moins encore, et je n’ai fait que sentir mieux, éprouvées par le temps et plus sûres, les raisons que j’ai de l’aimer.

Rien n’est moins que ce drame, sommaire et vigoureux, une pièce bien agencée et selon les règles. L’action et la passion concentrée y tiennent lieu de métier. Même il y règne un ton général, un parti