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C’est la Russie tout entière, politique et sociale, qu’il lui faut rénover ; extirper des abus séculaires et innombrables, dont aucun n’entend périr sans se défendre, et dont les uns ont leur siège dans sa propre cour, si près de son oreille qu’ils peuvent l’assiéger à toute heure ; tandis que les autres, aux confins de son empire, sont si loin qu’on a peine à les atteindre.

Il lui faut organiser un nouveau mécanisme gouvernemental avec des élémens rudimentaires et des hommes mal préparés à jouer leur rôle ; donner la liberté à des gens qui ne savent pas encore s’en servir, remanier les formes de possession du sol et imposer la propriété individuelle à des paysans qui la redoutent comme les Germains du temps de César ; rédiger et codifier des coutumes vagues et presque inexistantes, qui laissent libre cours aux tyrannies locales et à l’arbitraire ; tenir la balance entre des races hostiles et satisfaire des territoires jaloux d’indépendance, sans compromettre le lien national ni troubler l’ordre matériel dont il est garant.

Le souverain qui doit accomplir ces travaux d’Hercule, avec l’assistance d’un ministre que les bombes ont laissé debout, inébranlé, sur les ruines de sa maison fumante et que le Palais impérial hospitalise aujourd’hui, ce souverain a droit à quelque indulgence lorsqu’il hésite, plein de défiance de ses propres lumières. Ceux mêmes qui l’accusent d’irrésolution seraient les premiers à le taxer de folle audace s’il se lançait bénévolement dans l’inconnu, ou de sot entêtement s’il persévérait dans une voie funeste. Cependant l’étranger anxieux d’où viendra l’appui, et de quel outil le prince et le ministre pourront bien user pour leur tâche gigantesque, entre des courtisans maussades, des théoriciens impatiens, une masse rurale amorphe et des enragés de meurtre et de violence, se tourne vers ce palais de Tauride où siège dans une enceinte toute blanche la troisième Douma, réunie depuis l’automne.

Rien qui ressemble moins à notre « Chambre des députés, » bien qu’elle en porte le nom ; d’abord, au contraire de ce qui se voit au Palais-Bourbon, la salle des séances est presque toujours pleine et les membres attentifs écoutent sans mot dire. Lorsque quelques paroles sont échangées par deux voisins, entre haut et bas, le président agite sévèrement sa sonnette et les délinquans se taisent comme des élèves pris en faute. Des applaudissemens rares et tranquilles, à la fin d’une période ou quand l’orateur