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le tient, il en est esclave. D’autant que, jusqu’en 1906, les redevances ayant été calculées, non pas d’après le gain présumé du cultivateur, mais d’après la perte constatée de l’ancien propriétaire, elles se sont trouvées, en certaines provinces, supérieures à la rente du sol communal et que, par conséquent, faire partie d’un mir, loin d’être un avantage, était souvent une charge. La suppression des redevances aide ainsi puissamment à la dissolution de ces sociétés ; désormais elles n’auront plus intérêt comme devant à retenir ceux des membres qui prétendaient les quitter et dont le départ aurait accru le fardeau commun. Le mir n’a plus que deux sortes de partisans : les réactionnaires qui voient dans les paysans d’éternels mineurs, auxquels on ne peut concéder de droits individuels, et les socialistes qui, eux, ne veulent émanciper personne, puisque leur idéal consiste précisément à mettre tous les majeurs en tutelle pour leur bien. L’unanimité des Russes éclairés, qui forment aujourd’hui les conseils du gouvernement, sont résolus à briser ces vieilles chaînes.

Le mal, a-t-il été dit parfois, vient de la crue incessante de la population depuis un quart de siècle sur une étendue de terre invariable. Chaque paire de bras représentait une bouche ; la bouche de ce nouveau convive qui arrivait ainsi, lorsque déjà tant d’autres étaient à table qui avaient peine à se suffire, paraissait de plus en plus importune ; ses bras semblaient de moins en moins nécessaires. Mais, depuis cent ans, notre Europe occidentale a trouvé le moyen d’accueillir beaucoup de nouvelles bouches, d’utiliser beaucoup de nouveaux bras. Elle a su renouveler au profit des travailleurs le miracle de la multiplication des pains.

Quoique la population russe augmente présentement plus qu’aucune autre sur le globe, — de 1 625 000 âmes par an durant les dix dernières années, dans les 50 gouvernemens de la Russie d’Europe, ce qui représente annuellement un et demi pour 100, — ce n’est pas la terre qui manque au paysan ; c’est son exploitation qui est défectueuse. Les paysans français, qui vivent bien, ont ensemble beaucoup moins de bonne terre que les paysans russes, qui vivent mal.

Les perturbateurs ignorans, qui sont la plaie de cet empire, avaient un instant persuadé à la population rurale qu’un sur moyen de s’enrichir serait d’obtenir la nationalisation du sol et,