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Page:Revue des Deux Mondes - 1908 - tome 44.djvu/80

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Son lourd enseignement à l’Ecole normale, ses multiples conférences de l’Odéon ou de la Sorbonne, sur les Époques du théâtre français, sur Bossuet, sur l’Evolution de la poésie lyrique en France au XIXe siècle, lui laissaient encore le loisir de poursuivre son œuvre de critique au jour le jour, et même d’historien littéraire. En pleine possession de sa méthode et de son talent, il s’affirmait et se développait en tous sens. Très attentif à toutes les manifestations de la littérature contemporaine, même aux premiers balbutiemens de la littérature de demain, il ne se contentait pas de juger, il conseillait, il dirigeait les talens nouveaux en quête d’un nouvel idéal d’art ; il s’efforçait de leur révéler à eux-mêmes le vrai sens de leur effort et la légitimité de leurs tendances instinctives : tel est l’objet avoué, par exemple, des articles sur la Réforme du théâtre, sur le Roman de l’avenir, sur le Symbolisme contemporain. En 1889, il joignait à ses précédentes « spécialités, » pour la conserver deux années durant, celle de critique dramatique. Surtout, il se révélait chaque jour davantage professeur et conférencier de tout premier ordre. Écrivain longtemps discuté, — à tort, selon nous, et par ceux qui ont un peu perdu le sens de la forte langue française, — il s’imposa du premier coup comme orateur d’idées. Quelle fut à cet égard sa maîtrise, M. de Vogué l’a dit ici même en des pages qui décourageraient de plus téméraires que nous, et qui sont encore présentes à la mémoire de nos lecteurs. Mais peut-être est-il bon d’insister sur son œuvre et son action comme professeur.

Il y aurait lieu de le faire longuement dans une étude détaillée sur Ferdinand Brunetière. Car son œuvre se fût-elle bornée à son enseignement oral à l’Ecole normale, elle compterait encore dans l’histoire de la littérature d’aujourd’hui. Elle compterait autant que, dans un autre ordre, celle d’un homme qui n’a, pour ainsi dire, rien écrit, et qui pourtant a mis sa marque, directement et indirectement, sur tant d’esprits contemporains, qu’il a sa place fortement marquée dans l’histoire de la philosophie de notre temps : je veux parler de celui que Henan lui-même appelait « notre penseur éminent, M. Lachelier, l’inventeur du mouvement tournant philosophique le plus surprenant des temps modernes depuis Kant. » L’enseignement à l’Ecole normale, — à l’ancienne Ecole normale, — était pour un maître puissant et complet, comme l’était Brunetière, un moyen d’action incomparable. Former chaque année et