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Page:Revue des Deux Mondes - 1908 - tome 44.djvu/849

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ondoient au hasard : du désir il tourne au dégoût, de l’espoir au découragement, de l’excitation à la tristesse. Il ne sait plus fixer son attention ni son effort. Il hésite, il s’inquiète, il s’irrite, il sursaute. Le profond vouloir qui maintenait sa personne s’étant détendu, celle-ci cède à toutes les attaques du dehors. A chaque impression il obéit, et si l’idée fixe le mène autant que l’idée vagabonde, c’est qu’elle n’est pas davantage un élément personnel et bien intégré de la pensée, c’est-à-dire un principe de volonté véritable, mais une étrangère, une parasite qui envahit le cerveau anarchique et, faute d’y rencontrer la résistance organisée, le vigoureux antagonisme des disciplines mentales nécessaires à la santé et l’équilibre de l’esprit, sort du rang pour exercer un despotisme imprévu.

De la même façon baisse la vitalité d’un peuple : son principe de forme faiblit d’abord. L’idée centrale et durable qui l’organisait se défait. A l’autorité de la croyance, des traditions et des coutumes, succède l’anarchie des intelligences, le règne des modes et des caprices. La société se dissociant, la foule apparaît, irritable et contradictoire, violente et pourtant instable, elle aussi, docile comme un enfant à toutes les impulsions et influences passagères, — pure poussière qu’assemblent en éphémères tourbillons les volontés changeantes ou tyranniques des meneurs ou des Césars de rencontre. Une foule, c’est-à-dire une chose et non plus une créature. « Avec des mots, on la mène où l’on veut ; ses sentimens peuvent être généreux et justes : nulle assise résistante ne les fixe ; elle ne sait pas les maintenir ou les retenir. En la taquinant, en la chatouillant on peut lui suggérer ceux que l’on veut. Elle pense par contagion. Rien de si frivole dont elle ne se puisse passionner jusqu’à en écumer et en rugir, rien de si grand qu’elle ne puisse l’oublier au bout d’une heure. » Elle n’est plus que nombre et que hasard.

Telle est la dissolution finale où tendent les sociétés modernes parce qu’elles méconnaissent la profonde raison des disciplines. Partout dans le domaine de l’esprit comme dans celui de la matière vivante, dans un peuple, dans une âme, comme dans un corps organisé, le mal et le laid, c’est l’état amorphe ; le bien et le beau, c’est l’état cristallin, résolu, où l’être sent sa plénitude et l’équilibre sain de ses forces orientées dans le même sens ; c’est la fidélité de cet être à son principe, la liaison mutuelle des parties, la soumission de l’élément au dessein de