Aller au contenu

Page:Revue des Deux Mondes - 1908 - tome 44.djvu/86

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

nous pouvons ! Je réponds que c’est ce qui n’est pas prouvé : que notre foi ne soit pas dans notre dépendance ; et, peut-être sommes-nous les maîtres de notre croyance dans la mesure exacte où nous le sommes de notre volonté. Ainsi du moins l’ont pensé un Pascal ou un Kant. Mais si nous n’avions pas le courage de les suivre, qui donc a décidé qu’en cessant d’exprimer l’adhésion du fidèle aux enseignemens de la religion, les mots de croyance et de foi, comme une écorce creuse, se videraient brusquement de toute espèce de sens et de vertu ? Ce qu’à Dieu ne plaise !… Contentons-nous donc, en ce cas, des certitudes que nous donne l’histoire… Puisqu’il n’en faut pas plus pour nous révéler en nous autre chose que nous-mêmes, il n’en faut pas plus pour nous arracher au culte de nous-mêmes : et hæc est victoria, quæ vincit mundum, fides nostra. La véritable foi, celle qui vaincra l’égoisme et qui nous communiquera la fièvre généreuse de l’action, c’est la foi de l’individu dans les destinées de l’espèce : et, quoi que les sceptiques en disent, n’est-il pas vrai que le passé nous est ici garant de l’avenir ?


Et il concluait en ces termes :


Croyons donc ce que nous pouvons, mais croyons quelque chose, puisque nous savons, puisque vous voyez qu’il n’en faut pas davantage pour agir. À défaut d’une autre croyance, faisons-nous une foi de ce besoin d’action qui est la loi même de l’humanité, puisque, à vrai dire, l’inaction et la mort ne sont au fond qu’une même chose. N’en obscurcissons pas l’évidence d’une métaphysique inutile… et je ne sais, après cela, si, comme on vous le promettait et comme je le souhaiterais, je ne sais


Si le siècle qui vient verra de grandes choses,


mais nous n’aurons du moins démérité ni de nos maîtres, ni de la France, ni de l’humanité.


Est-ce que je me trompe ? Il me semble sentir, dans ces dernières paroles, je ne sais quel accent de lassitude et de découragement. Cette foi un peu vague dans les destinées de l’espèce que l’orateur nous propose, il a l’air lui-même de n’être pas très sûr qu’elle suffise véritablement. Trois mois après, il partait pour Rome. Un homme nouveau commençait, — et la littérature même n’allait rien y perdre.


VICTOR GIRAUD.