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cellules ne se développent et ne s’agencent que suivant un plan. Ordre d’une œuvre d’art dont chaque partie dépend des autres et collabore à l’expression d’une idée. Ordre d’une âme humaine, d’une âme supérieure, douée de toutes les énergies de volonté et de pensée, capable de tirer de soi la volonté nécessaire pour se maintenir et se mouvoir dans les seules directions du devoir, d’une âme ordinaire, enfin, qui, seule, indépendante, libre, suivant la formule moderne, resterait vague, vacillerait, se déformerait à. tous les chocs et toutes les actions du dehors, souffrirait et languirait de son incertitude, de sa faiblesse, de son incohérence, mais qui, protégée et soutenue par son groupe, obéissant au chef qui décide ce qu’elle n’est pas capable de décider, astreinte à une règle, ordonnée enfin parce qu’elle se subordonne, trouve son caractère, sa résistance, son calme, sa rectitude et son bonheur, devient belle, par conséquent, de tous les élémens de beauté qu’a dégagés l’analyse esthétique de Ruskin.


Ces idées-là sont courantes en Angleterre. En même temps que Ruskin, après lui, d’autres ont proclamé cet idéal, aussi opposé aux révoltes, fièvres et turbulences des romantiques, qu’au pessimisme, aux frémissemens et langueurs plus modernes de la névrose. cette conception du bien s’est exprimée par cent personnages de poèmes et de romans, stoïciens et dont la force imperturbable peut se faire douce jusqu’à la tendresse, — patiens, résistans jusqu’à l’héroïsme, sains jusqu’à la beauté, et que les disciplines morales et professionnelles marquent du plus magnifique caractère, depuis le John Halifax de Mrs Craik, depuis l’Adam Bede et le Félix Holt de George Eliot, depuis les chevaliers de Tennyson, son roi Arthur ou son sir Galahad, énergiques et calmes incarnations de l’idée de loi, de loi spirituelle[1], fondateurs de l’ordre contre les dragons et les barbares, jusqu’aux figures préférées de George Meredith, gentlemen de conscience stricte, d’esprit lucide et certain, de jeunesse intarissable et pure, ignorans de l’angoisse et de l’incertitude[2], jusqu’au David Grieve ou au Jacob Delafield de

  1. Voyez surtout l’Ode sur la mort du duc de Wellington de Tennyson :
    Mourn for the man of lonq enduring blood
    The statesman warrior, moderate, resolute
    Whole in himself, a common good.
  2. Voir surtout les types de lord Romfrey, dans Beauchamp’s Career, et de Dartrey Fenellan, dans One of our Conquerors.