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Page:Revue des Deux Mondes - 1908 - tome 44.djvu/923

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dernier soir que je passai sur la colline des Muses, devant l’habituelle féerie du crépuscule.

Je m’étais avancé jusqu’à la tribune du Pnyx, — un simple pavement mal dégagé de la terre où il était enseveli. Quel calme et quel désert autour de cette plate-forme jadis toute bruyante de clameurs oratoires et de vociférations populaires !… A dix pas de moi, une vieille Allemande lisait le Berliner Tagblatt, heureuse de se mettre au frais pour sa lecture. A nous deux, nous étions tout le public. Sur le versant occidental qui s’incline vers la route du Pirée, rien que des herbes brûlées et des éboulis de rocailles. Un troupeau d’ânes poursuivi par son berger galopait dans les décombres. En bas, des terrains vagues, avec des maisons d’ouvriers et des cabarets, d’où montait une ritournelle nasillarde de graphophone.

Mais de l’autre côté, — surplombant les escarpemens bleuâtres de l’Aréopage, — le rocher de l’Acropole rassemblait, en un prodigieux bouquet de couleurs, les reflets épars du crépuscule. Gris perle à la base, il se teintait progressivement de lilas et de violet sombre, moiré par places de grandes taches glauques pareilles à ces ombres céruléennes qui tournoient dans le vert livide des mers houleuses. Au-dessus du théâtre d’Hérode Atticus, une coulée rouge, or et mauve se précipitait comme un torrent de lave le long du rempart. Les colonnes des temples étaient striées de cannelures roses, et, entre les deux masses cuivrées du Parthénon et de la Pinacothèque, éclatait la symphonie en blanc majeur des Propylées et de la Victoire.

Ici, c’est un perpétuel contraste de fraîcheur éblouissante et de sèche aridité, de pauvreté et de magnificence. Cette citadelle elle-même qui resplendit, en ce moment, d’une telle suavité, je l’ai surprise fréquemment dans toute l’ingratitude de ses pires aspects. Je l’ai vue triste, poussiéreuse, hérissée comme un bordj arabe sur un monticule de sable jaune. Et je me rappelle les petites révoltes de mon goût déçu à propos d’une ruine ou d’un morceau de sculpture. Ces œuvres antiques sont d’une valeur très inégale, et l’inconvénient de l’archéologie (qui est, dans ce pays, notre seul guide), c’est de tout mettre sur le même plan.

Mais le problème de l’art grec ne peut pas m’intéresser, puisque je n’ai pas en main les élémens complets de sa solution. Ecartons cette question oiseuse et bornons-nous à nous