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sur les nuées. » C’est la baie de la Somme « morne et grise, au ciel bas, traversée du long vol des oiseaux de mer. » Avec l’écrivain nous parcourons toute cette France ruinée par la guerre, nous voyageons au long des chemins mal sûrs, parmi les campagnes dévastées. Et soudain les villes nous apparaissent avec leur ceinture de murailles, de tours et de bastilles : Orléans, la ville populeuse, aux faubourgs grouillans, aux riches abbayes, aux églises toujours sonnantes ; Chinon, telle que Jeanne put l’apercevoir, sur la montagne toute proche, lui montrant « les tours du plus beau château de tout le royaume, les flores murailles derrière lesquelles respirait ce Roi à qui elle venait conduite par un merveilleux amour. C’étaient trois châteaux qui se confondaient à ses yeux dans une longue masse grise de murs crénelés, de donjons, de tours, de tourelles, de courtines, de barbacanes, d’échauguettes et de bretèches ; trois châteaux séparés l’un de l’autre par des douves, des barrières, des poternes, des herses. » Et Beaugency, assise sur le penchant d’une colline et ceinte de vignes, de jardins, de champs de blé ; Auxerre, Paris, Rouen. Toute cette évocation des châteaux anciens, bijoux d’art autant que citadelles, est de premier ordre. M. France excelle aux sujets d’architecture comme à la peinture de paysage. À chaque instant on s’arrête, ravi. On croit feuilleter un manuscrit d’autrefois aux précieuses enluminures, dont le temps a respecté le dessin précis et les vives couleurs.

Derrière ces murailles qui sont celles de villes assiégées, comment vit-on ? Comment les habitans supportent-ils la garnison qu’on leur a donnée pour les défendre et qui abuse de la situation ? Que craignent-ils et qu’espèrent-ils ? L’écrivain nous dit l’attente qui énerve et les paniques soudaines, le découragement, la lassitude, puis, quand paraît la Pucelle, l’enthousiasme de la foule qui se presse sur ses pas et qui n’a plus foi qu’en elle seule. Les chapitres où il évêque ce qui s’est passé à Orléans pendant le siège, à Paris depuis que la ville est aux mains des Anglais, sont de purs chefs-d’œuvre. Les plus récens historiens de la guerre de Cent Ans, et notamment Siméon Luce, avaient donné l’exemple de retrouver dans les événemens généraux la vie intime, celle des petites gens, des obscurs dont la grande histoire ne parle pas. M. France s’est appliqué à reconstituer les sentimens de chaque catégorie de Français en présence du fait de la guerre. Les paysans d’abord. Ce sont eux qui ont le plus à souffrir. Armagnacs, Bourguignons, Anglais, ceux de tous les partis, commencent toujours par piller les cultures et enlever les troupeaux. Les bourgeois mis à rançon, les gens d’Église dont les offices sont interrompus,