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Page:Revue des Deux Mondes - 1908 - tome 44.djvu/948

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Mme Wesendonck, était allée jusqu’à dénoncer ces relations à M. Wesendonck, qui, naturellement, — plus confiant, et ainsi plus heureux que le roi Marke, dont on veut qu’il ait été le modèle, — s’est toujours refusé à rien voir ni à rien entendre. Et Wagner, lui, a vu et compris aussitôt qu’il ne lui était plus possible de vivre en compagnie d’une femme dont les reproches continuels le troublaient dans son travail poétique, la seule chose qui lui tînt, proprement, au cœur : de telle sorte qu’il a pour ainsi dire, donné simultanément congé à sa femme et à son amie, afin de pouvoir se consacrer tout entier à sa partition de Tristan et Ysolde, maîtresse plus tendrement aimée que ne l’avait jamais été aucune créature en chair et en os. Mais son âme généreuse, dès lors tout imprégnée de l’esprit chrétien, — malgré son soi-disant schopenhauerisme, — a d’autant plus souffert à l’idée des souffrances infligées, par son fait, à la fidèle compagne de toute sa vie que, comme je l’ai dit, il la savait très malade, et la croyait vouée à une mort prochaine. « Un médecin, en qui j’ai toute confiance, — écrivait-il, le 1er novembre 1858, à Mme Wesendonck, — m’a fait connaître, hier, la nature exacte de la maladie de ma femme. Tout porte à croire qu’elle est perdue. Un hydrothorax menace de se développer bientôt ; elle va beaucoup souffrir, et les douleurs iront toujours augmentant : l’unique délivrance possible est la mort. » Le souvenir de cet aveu nous est indispensable pour comprendre la vraie signification des lettres qui ont suivi le drame de l’été de 1858. Presque quotidiennes, et d’une longueur anormale, ces lettres contiennent, évidemment, une grosse part de mensonge, avec leur tendresse débordante, leurs assurances répétées d’un fidèle amour et de l’espoir d’un recommencement immédiat de la vie en commun : mais le mensonge qu’elles contiennent est celui que chacun de nous se trouve obligé de commettre au chevet d’un malade mortellement atteint ; et personne n’aura le courage d’en faire un reproche à Richard Wagner, quelque opinion que l’on ait de l’ensemble de sa conduite à l’égard de sa femme.

Encore nous est-il bien malaisé de savoir en quelle mesure, dans ces lettres, Wagner affecte des sentimens qu’il n’éprouve point. Il écrit à sa femme, par exemple, de sa retraite de Venise, qu’il a sur son piano une photographie d’elle, à côté du portrait de son père ; à Mme Wesendonck, le même jour, il écrit simplement qu’il a sur son piano le portrait de son père : à l’une des deux il ment, mais à qui ment-il ? Je suis bien tenté de supposer que ce n’est pas à sa femme : car toutes ses lettres à celle-ci ont un caractère d’expansion que sont