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Page:Revue des Deux Mondes - 1908 - tome 45.djvu/127

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Il prononçait ce mot « patience ! » d’un ton solennel, le répétant avec menace, pareil à quelque mystérieux refrain : « Venez donc me voir, camarade. Vous non plus, m’a-t-on dit, vous n’êtes pas content : nous avons à causer ensemble. On me rencontre, d’habitude, au café Voltaire, en face de l’Odéon… Oui, venez bavarder avec moi ; vous n’aurez pas à regretter le voyage !… »

Donnadieu accepta le rendez-vous. Il devinait une intrigue politique, et se sentait d’humeur à entrer dans l’affaire.


Non moins fameux que l’« antre de Procope, » le café Voltaire avait jadis été une façon d’Académie cancanière où s’assemblaient, discutaient, pontifiaient l’homme de lettres et le comédien. Des philosophes, des penseurs à l’anglaise, de plaintifs et toujours moribonds poètes, des critiques, « écumeurs des bourbiers d’Hélicon, » l’avaient fréquenté autrefois pour y ratiociner, discourir, dénigrer. Mais, grandeur et décadence ! les temps étaient bien changés. L’Une et Indivisible qui les choyait fort peu avait dispersé tous ces gens de plume, et, en 1802, l’Académie de la demi-tasse n’était plus qu’un estaminet. Il avait même un fâcheux renom dans les bureaux du ministère de la Police ; on en suspectait les habitués, liseurs de gazettes ou joueurs de billard ; « la poule » et ses carambolages excitaient la méfiance des « observateurs, » et souvent un mouchard venait s’asseoir sur le velours râpé des banquettes où, en des jours lointains, avait trôné Diderot. Et de fait, ce café bon enfant, qui permettait les cartes et tolérait la pipe, attirait de nombreux officiers en réforme.

N’ayant, hélas ! d’autre salon, Marius Bernard passait des journées entières dans la bruyante tabagie. Matin et soir, on l’y voyait attablé avec de chers amis, un citoyen Grégoire, un chef de bataillon Clément, jacobins comme lui, comme lui avaleurs de rogommes. Ils y politiquaient, tout en buvottant, consommaient, consommaient encore, et prenaient soin de mettre en évidence leurs soucoupes renversées : un signe de ralliement, sans doute. Mais l’habituel commensal, l’Achate fidèle du grand Marius, était un de ses « pays, » faraud et futé petit Provençal, l’ordonnateur-adjoint aux Guerres, Anselme Truck. Joli jeune homme de vingt-cinq ans, à la mise recherchée, fleurant bon comme un muscadin, et ne se refusant aucune des douceurs de