Page:Revue des Deux Mondes - 1908 - tome 45.djvu/131

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

un jour de parade, que d’en finir avec le nabot ! Nous revêtons nos anciens uniformes ; mêlés à la cohue, nous présentons un faux solliciteur ; nous entourons, nous enveloppons à rangs pressés l’avorton César ; deux balles de pistolet lui sont tirées à bout portant par le camarade ; le pygmée corse tombe de cheval ; nous nous précipitons sur le blessé, et à coups de sabre, à coups de bottes, nous délivrons la République ! » — « Admirable ! répliquaient les amateurs d’affût au clair de lune ; mais qui de vous jouera le rôle du suppliant ? » — « Un compagnon désigné par le sort. » — « Et s’il refuse, s’il hésite, s’il a peur ? » — « Un traître ?… Nous savons supprimer les traîtres ! »

Conçu par des militaires ayant longtemps vécu en Cisalpine, contenant même plusieurs Italiens, ce complot ressemblait déjà à quelque informe charbonnerie. Mais la puérilité des précautions prises et son absurde mise en scène l’auraient pu rendre ridicule, s’il n’avait été si dangereux. Exposons donc en peu de lignes quelles étaient, croyons-nous, d’après de rares et confus documens, les façons d’agir adoptées par ces haineux chevaliers de l’assassinat.

Redoutant de périlleux bavardages, ils voulaient n’opérer qu’en un profond mystère. L’initié n’avait de rapports qu’avec son initiateur ; il ignorait les noms de ses chefs, et cependant devait obéir, dès leur premier appel. On se rencontrait en plein air, dans un jardin public, de préférence au Luxembourg. Jamais, pour ces conciliabules, plus de cinq compagnons ne se trouvaient ensemble. Ils employaient, dans les tabagies, des signes de ralliement : un verre ou une soucoupe renversés. Le mot « Patience » annonçait un frère et ami. « Tout va mal ! Il faut avoir de la patience ! » — « Oui, patience et patience encore ! » Certains jours, les racoleurs de la troupe se rassemblaient en de clandestins logis, chez Aurose, le cordonnier, ou dans l’arrière-boutique du menuisier Grégoire. Ils y recevaient les sermens des nouveaux affidés, qui juraient sur un sabre « d’être fidèles jusqu’à la mort. » Enfin, un « conseil secret, » occulte réunion de directeurs, imposait, disait-on, sa volonté suprême. Quel était ce conseil ? Où et comment fonctionnait-il ? À Paris, à Milan, à Londres ? Seul, un fort bizarre personnage, dont nous parlerons tout à l’heure, eût pu fournir la solution d’une telle énigme.

Oui, certes, une énigme, et bien étrange en son obscurité !