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d’État, émargeant au budget comme général en chef, convoitant une ambassade, comblé d’honneurs, gavé de richesses, satisfait du Consul, et plus avide qu’ambitieux, cet heureux de la vie écartait, à présent, toute cause d’agitation.

Quant aux autres généralissimes, les illustres de l’armée, Moreau et Jourdan, Macdonald, Lecourbe, Bernadotte, leurs noms de gloire ou de légende ne sont pas même inscrits sur les dossiers de la « Patience. » Si dans l’Affaire des Libelles plusieurs d’entre eux et surtout Bernadotte se trouvèrent compromis[1], ils paraissent avoir ignoré la ténébreuse intrigue des Truck et des Bernard. Fabriquée par de bas officiers, produit de leurs souffrances ou de leurs colères, cette entreprise de guet-apens n’avait d’autre dessein que d’assouvir une frénésie de haines. « Tuons d’abord, advienne ensuite ce qu’on voudra ! » Mais l’inconscience de semblables fureurs ne les rendait que plus redoutables : des bandits ou des brutes !… Et cependant un chef les soudoyait, plus mystérieux vraiment que l’enfantin mystère dont s’amusaient les conspirateurs. Il avait son idée ; il rêvait autre chose encore qu’un lâche assassinat ; et ce chef, à n’en pas douter, était un royaliste.


VII. — LE CITOYEN NICOLAS

Il se faisait appeler Nicolas, et se disait officier de santé. Mais ce nom de roture ne devait être qu’un nom de guerre, jovial sobriquet à la façon du Chouan, et la science médicale d’un pareil Esculape eût sans doute étonné les Bichat ou les Corvisart. Nous ne possédons pas son signalement. Était-il brun ou blond, jeune ou vieux, Breton comme Cadoudal, Normand comme Brulard, Berrichon comme Hyde de Neuville ? La police ne le sut jamais. Les compagnons de la Patience le connaissaient à peine ; leurs meneurs mêmes n’avaient pas avec lui de fréquens rapports. Il surgissait brusquement à Paris, apportait de l’argent, en remettait à Truck, trésorier de la bande, puis il disparaissait aussi vite qu’il était apparu…

D’où venait-il ? De Londres, évidemment, l’asile alors de maints bourbonnistes, porte-sabots ou talons rouges, brigands de la brousse ou chevaliers des antichambres. Divers indices

  1. Voir notre premier récit : Conspirateurs et Gens de Police. — Le Complot des Libelles (Armand Colin, éditeur).