Page:Revue des Deux Mondes - 1908 - tome 45.djvu/152

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

serbe et le Monténégro, le sandjak s’enfonce comme un coin. Le chemin de fer complétera cette œuvre de division : du Nord au Sud, la ligne nouvelle fend en deux sections l’épais bastion des montagnes où la vieille race serbe abrite sa vitalité. D’un côté, regardant vers l’Adriatique, c’est le Monténégro, que le Cabinet de Vienne cherche à tenir sous sa tutelle. Le baron d’Æhrenthal, dans son discours du 27 janvier, a annoncé son intention de relier promptement la Bosnie avec le Monténégro ; ainsi attiré dans l’orbite de l’Autriche, il sera plus facilement détaché de Belgrade et du bloc serbe. De l’autre côté, restera le royaume serbe, isolé, privé de toute issue vers l’Adriatique. Par la nouvelle ligne, l’Autriche le tourne complètement, elle peut le prendre, en cas de conflit, par le Nord, par le Sud et par l’Ouest, elle peut couper toutes les communications qu’il tenterait d’établir avec la mer. Elle a désormais, bien à elle, à elle seule, une voie ferrée vers la Macédoine et Salonique.

Le nouveau chemin de fer rend aussi l’Autriche plus indépendante de la Hongrie. On n’a pas assez remarqué que le baron d’Æhrenthal a attendu que le renouvellement du compromis fût assuré avant d’esquisser le plan de sa politique de chemins de fer ; dans dix ans, si le divorce devient complet, chacun des deux pays aura sa ligne de pénétration vers l’Archipel ; Vienne sera, pour ses transports de troupes ou de marchandises, indépendante de Budapest. On est quelque peu surpris, après cela, d’apprendre que, à la réunion des Délégations et dans la presse magyare, la politique du baron d’Æhrenthal a été généralement accueillie avec satisfaction.

En Macédoine, la ligne nouvelle donnera aux Autrichiens un moyen d’influence et, au besoin, de pénétration militaire. Si la Macédoine devient jamais un État indépendant ou à demi indépendant, l’Autriche, seule de toutes les grandes puissances, en sera la voisine et se trouvera en mesure d’y exercer une action prépondérante. Mais son intérêt est que la domination turque s’y maintienne, tout en y restant faible, et que l’anarchie s’y perpétue. Par son chemin de fer l’Autriche aura aussi le moyen de devancer les Italiens en Albanie, de couper court à toute tentative de leur part sur la côte de l’Adriatique et de contrôler toutes les lignes de pénétration qui partiraient des ports pour s’enfoncer, à travers l’Albanie, vers la Macédoine ou la Serbie. On étudie en outre, à Vienne, le projet d’un chemin de fer qui