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dans la situation prise en 1866, ne disant ni oui ni non, laissant les princes libres d’accepter ou de refuser et se déclarant prêt à. approuver ce qu’ils décideraient.

En conséquence, il les appela à Berlin, et, le 15 mars, se tint au Palais-Royal, où ils étaient descendus selon leur habitude, un conseil dont le prince Antoine rend compte à son fils Charles de Roumanie dans des termes qui doivent être reproduits textuellement : « Je suis depuis quinze jours au milieu d’affaires de famille de la plus haute importance ; il ne s’agit pas moins pour Léopold que de l’acceptation ou du refus de la couronne d’Espagne qui lui a été offerte officiellement par le gouvernement espagnol, sous le sceau d’un secret d’Etat européen. Bismarck désire l’acceptation pour des motifs dynastiques et politiques, mais le Roi ne la désire que si Léopold se décide de son plein gré. Le 15, a été tenu un Conseil très intéressant et important sous la présidence du Roi, auquel ont pris part : le prince royal, nous deux, Bismarck, Moltke, Roon, Schleinitz[1], Thile et Delbrück. La résolution unanime des conseillers est pour l’acceptation, qui constitue l’accomplissement d’un devoir patriotique prussien. Après une grande lutte, Léopold a refusé. Comme on désire avant tout, en Espagne, un Hohenzollern catholique, j’ai proposé Fritz. »

Les motifs du refus de Léopold sont honorables. Comblé lui et sa famille par Napoléon III de bienveillance, de confiance, d’affection, il ne pouvait se décider à l’acte de perfidie indigne d’un gentilhomme, dans lequel voulait le précipiter l’astuce de Bismarck. Selon Keudell, un de ses conseillers intimes, les motifs donnés par Bismarck pour l’acceptation sont par contre édifians : ce serait presque « dans l’intérêt de la dynastie bonapartiste, pour éviter en Espagne une solution orléaniste ou républicaine, et afin de régénérer par l’influence salubre d’un prince germanique une race latine corrompue. » Ainsi ce grand homme d’Etat, dont une des maximes principales était que tout acte politique doit avoir pour mobile l’intérêt, et pour résultat un profit, ce colossal utilitaire devient tout à coup un sentimental d’une niaiserie transcendante ; il use son temps et son argent à épargner à l’empereur Napoléon l’ennui du voisinage d’une république ou d’un d’Orléans ! il veut régénérer des Espagnols dont

  1. Keudell prétend que, au lieu de Schleinitz, il faut lire S…, ambassadeur à Vienne, alors présent à Berlin, créature de Bismarck.