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nouvelle réunion dont Thiers m’instruit encore par le billet suivant : « Mon cher collègue, il est indispensable que vous sachiez par moi ce qui s’est passé hier au soir au Centre gauche. Une idée a surgi de la discussion qui pourrait tout arranger. Mais il faut que je vous l’explique. Je suis prêt à monter en voiture, je serai en dix minutes chez vous si je suis sûr de vous trouver. Tout à vous de cœur (3 avril). » Thiers vint me raconter en effet ce qui s’était passé dans les deux réunions. Dans la première, le Centre gauche n’avait pas contesté en principe le droit plébiscitaire de l’Empereur, mais il exigeait que tout plébiscite, avant d’être soumis au peuple, fût discuté et approuvé par les Chambres, et, pour avoir occasion de formuler son exigence, il appuierait la demande d’interpellation que venait de déposer la Gauche et me prierait de ne plus m’y opposer.

L’idée qui avait surgi dans la seconde réunion, et que Thiers lui-même avait suggérée, était qu’on prendrait son parti d’un plébiscite ratificatif du présent sénatus-consulte sans l’approbation préalable du Corps législatif, pourvu que ce précédent ne fit pas loi, et qu’il fût formellement stipulé qu’à l’avenir aucun plébiscite ne pût être proposé au peuple sans une approbation préalable des Chambres. J’expliquai à Thiers que l’Empereur ne concéderait jamais qu’on subordonnât son droit d’appel au peuple à un vote préalable des Chambres ; car c’est précisément en vue d’un désaccord avec elles, tel, par exemple, que celui suscité en Prusse par la loi militaire, qu’il se réservait la faculté de dénouer le conflit sans les Chambres et même contre elles, par un appel direct à la nation. Nous étions arrivés à ce point où la possibilité des concessions était épuisée et où nous nous heurterions à une résistance indomptable : l’Empereur préférerait abdiquer ou recourir à quelque mesure extrême plutôt que renoncer à ce qu’il considérait comme la sauvegarde fondamentale de son autorité. J’ajoutai que je le soutiendrais dans cette résistance. En face de l’opposition implacablement haineuse qui accueillait ses concessions les plus considérables et les plus loyales, alors que publiquement on étalait la volonté de s’en servir pour le déconsidérer, le miner, le détruire, il avait cent fois raison, à mon sens, de se réserver un moyen de se défendre et de faire usage de la force que le peuple avait mise dans sa main et qu’il y maintiendrait. La discussion de l’interpellation de la Gauche sur le pouvoir constituant était tout ce que