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que compensés par l’avantage d’avoir à la tête de nos affaires extérieures un diplomate de métier, connaissant les chancelleries et les cours, ayant vu de près tous les événemens depuis le commencement de l’Empire. Là-dessus, l’Empereur l’accepta, ajoutant : « D’ailleurs, n’importe qui conviendra, puisque nous sommes décidés à ne rien faire. » Et voilà comment Gramont devint ministre. En lui annonçant sa nomination, l’Empereur lui dit : « Je vous demande d’être bien avec Ollivier ; je l’aime, même quand il se trompe ; lorsqu’il entre dans mon cabinet, cela me repose ; c’est le seul de mes ministres qui ait eu confiance en moi, et qui n’ait jamais eu aucune arrière-pensée personnelle ; que ne l’ai-je connu plus tôt ! »

Le père de Gramont avait été sauvé, tout enfant, au château de Versailles, par un garde du corps, au moment de l’invasion révolutionnaire d’octobre 1789 ; il avait servi durant l’émigration, dans le régiment anglais de chevau-légers, puis dans divers corps étrangers ; en 1814, ayant pénétré dans le Midi, il travailla activement à la restauration des Bourbons et en 1830 suivit Charles X dans l’exil. Il avait épousé la sœur du comte d’Orsay, le dandy et l’artiste, éblouissante de beauté dans la fraîcheur de ses quinze ans. Leur fils Agénor, né le 14 août 1810, compagnon d’enfance du duc de Bordeaux, était destiné à briller au milieu des ombres vivantes qui se sont mues tant d’années dans le vide autour d’une ombre de royauté. Cependant il entra à l’École polytechnique à l’âge de dix-huit ans, donna sa démission d’officier d’artillerie en 1841 et se fit élire membre du Conseil général des Hautes-Pyrénées. Son esprit actif se lassa de se repaître dans l’oisiveté d’une espérance sans cesse ajournée : son oncle d’Orsay, lié avec le prince Louis-Napoléon, président de la République, le fit envoyer, en décembre 1851, ministre plénipotentiaire à la Cour électorale de Hesse ; ce fut le commencement d’une brillante carrière diplomatique. En mars 1852, il était nommé auprès du roi de Wurtemberg ; en janvier 1853, à Turin, en qualité de ministre extraordinaire ; en août 1857, ambassadeur à Rome, et en août 1861, ambassadeur à la Cour d’Autriche. Il avait épousé, en 1848, une Écossaise, Mary Mac Kinnen, dont il avait eu trois enfans.

Tout en lui était noble, distingué : la personne haute, élégante, d’allure fière ; la tête petite, fine, d’une belle régularité, où se retrouvait encore l’empreinte du grand Béarnais, éclairée par