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son remarquable talent oratoire qui lui permettra de me suppléer dans les luttes contre les révolutionnaires et à cause aussi de son influence sur une certaine portion de l’opinion publique et du courage avec lequel il nous a soutenus dans la récente lutte. Ces messieurs viendront causer et exposer leurs raisons à Votre Majesté demain à onze heures : elles me semblent très sérieuses. Affectueusement et respectueusement… »

L’Empereur m’écrivit le 15 mai au matin : « J’ai encore réfléchi à la composition ministérielle : quel que soit le mérite de M. Laboulaye, il m’est impossible ; en présence de la manifestation qui vient d’avoir lieu, d’admettre dans mes conseils un homme qui a fait contre l’Empire la plus odieuse satire. D’un autre côté, je sais que ce choix ayant été ébruité, il a rencontré au Corps législatif la plus grande opposition. Le Sénat de son côté voudrait être représenté dans le Conseil, il faut donc sortir du provisoire et prendre des hommes capables. Tout bien considéré, je mettrais le duc d’Albuféra aux Travaux publics, M. Magne aux Finances, M. Segris à l’Instruction publique. On m’a dit que le duc d’Albuféra accepterait cette combinaison. Voyez, et venez aujourd’hui en causer avec moi, et croyez à ma sincère amitié. »

L’objection de l’Empereur, que Laboulaye n’appartenait pas au Parlement, était sans réplique et je me gardai d’y résister. Je lui écrivis le même jour à deux heures : « Sire, je vais m’arranger pour obtenir de Segris l’abandon de Laboulaye ; quant à Magne, je ne puis être ministre avec lui. Il y a un proverbe arabe qui dit : « Quand ton ami t’a trompé une fois, c’est sa faute ; quand il t’a trompé deux fois, c’est la tienne. » Magne m’a trompé en janvier ; il n’entrerait dans mon ministère que pour me tromper encore, je n’ai aucune confiance en lui et, quel que soit mon désir d’être d’accord avec Votre Majesté, je ne puis accepter cette combinaison. L’honneur, en outre, m’interdit d’infliger à Segris, qui nous est resté fidèle aux momens critiques, de passer des Finances à l’Instruction publique ; il ne l’accepterait d’ailleurs pas et il aurait raison. Quant à d’Albuféra je n’ai aucune objection. » D’Albuféra était un homme d’une capacité et d’une sûreté éprouvées, un de mes principaux soutiens à la Chambre ; mais il convint lui-même que je devais réserver une place au Centre gauche, et d’ailleurs, à cause du labeur que lui donnait le Canal de Suez dont il était administrativement la