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puissances comprirent bientôt que ce prince n’avait pas été mû dans son entreprise par des motifs uniquement humanitaires et scientifiques. Elles auraient pu s’entendre pour contester la capacité d’une société privée à s’arroger des droits de souveraineté territoriale, mais le Comité d’études qui, sur ces entrefaites, se transforma en Association internationale du Congo, sut endormir les jalousies et les convoitises éveillées, en affirmant que la liberté commerciale la plus absolue régnerait dans le nouvel État et que « le bassin du Congo deviendrait en quelque sorte le patrimoine commun de toutes les nations[1]. » Le mot même d’international habilement ajouté au nom de la Société devait faire illusion à l’opinion publique, et il n’y eut, en réalité, que la France et le Portugal, — ce dernier soutenu par l’Angleterre, — pour chercher à entraver l’œuvre du roi Léopold.

Cependant le drapeau français planté par Brazza avait barré la route à Stanley sur la rive droite du Pool. De leur côté, les Portugais, regrettant un peu tardivement de n’avoir pas mieux profité de la découverte de l’embouchure du Congo, faite en 1485 par leur navigateur Diego Cam, invoquaient leurs « droits historiques » sur le littoral et sur les deux rives du fleuve jusqu’à Noki, et ces prétentions étaient appuyées par l’Angleterre à laquelle le Portugal accordait, en échange, d’importans privilèges économiques (traité du 24 février 1884). Ainsi, à la veille de se voir fermer, d’un côté par la France, de l’autre par le Portugal, toute issue vers l’Océan, l’Association internationale était menacée de périr si, grâce à l’influence du roi des Belges, elle n’avait obtenu l’appui des autres puissances et si elle n’avait réussi à diviser habilement le Portugal et la France en se rapprochant de cette dernière au moyen d’un accord par lequel « le gouvernement de la République s’engageait à respecter les stations et territoires libres de l’Association et à ne pas mettre obstacle à l’exercice de ses droits ; l’Association, de son côté, déclarait qu’elle ne céderait à quiconque ses possessions et que si, par des circonstances imprévues, elle était amenée un jour à les réaliser, elle s’engageait à donner à la France un droit de préférence[2]. L’accord fut

  1. Voyez Cattier, Droit et administration de l’État indépendant du Congo (1898).
  2. Ce droit de préférence, — ou de préemption comme on dit en Belgique, — a été confirmé depuis dans différentes conventions survenues entre la France et l’État du Congo. Toutefois, ce droit ne saurait être opposé à la Belgique (Convention du 5 février 1895).