Notre conduite continue d’offrir un contraste saisissant avec celle du chancelier prussien. Nous nous montrons aussi préoccupés du soin de ne pas éveiller les susceptibilités allemandes que lui est ardent à provoquer les nôtres.
La Tour, député, m’ayant manifesté son intention de nous interpeller sur l’affaire des Danois du Sleswig, j’obtins qu’il y renonçât. Après les discours prussiens sur le Saint-Gothard, nous ne nous demandâmes pas pendant quelques jours, comme l’a prétendu Busch, si nous ferions de cette affaire un prétexte de guerre : nous n’en délibérâmes même pas, nous décidâmes que nous ne nous en occuperions pas. Ce fut sans nous avoir même avertis qu’un ingénieur distingué, Mony, annonça tout à coup qu’il interpellerait le gouvernement « sur l’entente qui vient de s’établir entre l’Italie, la Suisse, le grand-duché de Bade et la Confédération du Nord pour la construction du Saint-Gothard. » (Très bien ! fit-on sur plusieurs bancs.) — « C’est une grosse question, » s’écria quelqu’un. Et le mouvement fut tellement marqué que, quoique le règlement défendît d’ajouter aucun commentaire au dépôt d’une interpellation, Mony crut devoir prendre la parole pour le calmer : « Je sais parfaitement, dit-il, ce qu’il y a de délicat dans la question que mon interpellation soulève ; la Chambre peut compter que j’y apporterai toute la réserve et toute la prudence nécessaires (9 juin). »
Cette interpellation me contraria fort. Je le manifestai avec quelque vivacité à son auteur sur le seuil de la salle des séances. Mony, blessé, me riposta avec non moins de vivacité ; un cercle se forma autour de nous, et devant un groupe nombreux de députés, j’expliquai les motifs de mon émotion : « Mon cher collègue, vous vous méprenez ; je n’ai pas voulu vous offenser ; mais je m’étonne de votre interpellation qui est on ne peut plus inopportune. — Il n’est jamais inopportun, me dit-il, d’appeler la lumière sur une question mal connue, et qui, surtout pour cette raison, éveille si fortement les susceptibilités publiques. Vous venez de voir l’impression de la Chambre. — Je vous affirme, réponds-je vivement, que la question ne vient pas en son temps ; elle blessera l’Allemagne et bien inutilement