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leur parle en ces termes, au début d’une scolie : « Jeunes filles qui recevez beaucoup d’étrangers, servantes de la persuasion dans la riche Corinthe, vous qui brillez les blondes larmes de l’arbre pale, d’où coule l’encens, votre pensée vole souvent vers Aphrodite, la mère céleste des amours. Enfans, elle vous permet, du haut du ciel, de vieillir sur vos lits amoureux le fruit de la tendre saison. Et la nécessité embellit toute chose !... »

Pourtant, le poète est pris d’un scrupule : « Je ne sais trop ce que vont dire les maîtres de l’Isthme, de ce que j’imagine de mêler ainsi des servantes d’amour au prélude d’une scolie douce comme le miel !... Mais on vérifie la pureté de l’or avec la pierre de touche !... »

Et tout de suite, libéré de ce vain souci, il entonne son hymne à la louange de l’homme opulent qui le paya : « O reine de Chypre, voici qu’un troupeau de cent jeunes filles grasses vient d’être amené dans ton bois sacré par Xénophon, joyeux de ses vœux accomplis !... »

Qu’était-ce que ce Xénophon qui s’offrait un tel festin de volupté ? Sans doute un vainqueur à la course des chars ! Le bois sacré, dont il s’agit, c’est peut-être ici qu’il s’élevait, — autour du temple de Vénus Astarté. Le fils de famille avait convié ses amis, ses cochers, ses palefreniers, tout le cortège de serviteurs et de parasites qui accompagnaient habituellement les coureurs olympiques, et l’on était monté en pompe au sanctuaire de la Déesse... C’est égal ! Cent courtisanes, et cette bande de jeunes fous, ce durent être de belles noces !...

Mais ce passé-là n’est pas si loin qu’on le pense !... Il me semble que je les ai vues quelque part, ces servantes d’amour, — engraissées à point, les joues peintes de vermillon, la chevelure et les mains toutes sonnantes de bracelets et de pendeloques !... C’était dans certaines rues ombreuses de Tunis, ou à Kéné, dans des gourbis de terre noire, au bord du Nil !

Et, soudain, devant ces grands espaces miroitans et calmes, pâmés de langueur sous le flamboiement de midi, je me remémore des midis d’Alger, des siestes moites parmi les odeurs des jasmins enfilés en chapelets et en diadèmes autour des coiffures féminines. Cela sentait le vin d’Espagne, la cannelle et l’encens, — et cela se passait dans les patios bleus des petites maisons mauresques, sur les hautes terrasses, où l’on fait la prière et l’amour, et où l’on rêve devant la mer, par les soirs de