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contrée s’étalait ainsi aux pieds du maître, — du Despote omnipotent, qui, de cet effrayant belvédère, pouvait surveiller les chemins du pays, les défilés des montagnes, voir approcher l’ennemi, ou l’émissaire impérial qui apportait de Constantinople les messages perfides...

Quel décor tout préparé pour les tragédies cruelles, les aventures extraordinaires comme des contes orientaux, dont regorge l’histoire de Byzance ! Ce n’est pas plus beau, mais c’est plus sauvage, plus âpre, plus grandiose que sur la Corne d’Or ! Ni le Palais des Blaquernes, ni la colline d’Eyoub ne commandent une étendue plus royale, et ni l’une ni l’autre n’ont l’aspect farouche, la majesté inaccessible de ce château du Taygète.

C’est là qu’on voudrait voir revivre le dernier des Empereurs, Constantin Paléologue, qui fut despote de Mistra, avant de ceindre la couronne. L’artiste qui tenterait de ressusciter une telle figure et une telle époque, nous rendrait du même coup toute une chevalerie inconnue de notre Occident, un moyen âge. riant et ensoleillé, en qui la beauté païenne se marierait à la couleur orientale et la corruption sénile de Byzance, à la jeune barbarie et à la santé vigoureuse des Francs.

En attendant, ce palais en ruines, acculé au bord d’un précipice, comme l’Empire lui-même à la catastrophe finale, prend une signification symbolique d’une richesse inouïe. Il complète le rocher et la forteresse de Mistra, où tant d’histoire se concentre, que le sol creusé et chargé comme une mine, semble éclater sous les pas, — où tant de spectres illustres reviennent rôder encore, que toute la splendeur du soleil éparse sur la plaine héroïque de Sparte n’en peut détacher le souvenir !...


LOUIS BERTRAND.