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Le pays n’aurait pas pu trouver un guide plus compétent ou plus zélé. Malgré ses soixante-dix ans passés, le comte Okuma est plein de vigueur et d’un tempérament merveilleusement jeune. Enthousiaste comme tout homme de génie, il poursuit avec énergie et conviction ce qu’il entreprend. Parmi les hommes éminens que j’ai eu le privilège de connaître au Japon, aucun n’a fait sur moi une impression plus profonde. De taille au-dessus de la moyenne, il a des traits expressifs et des yeux qui lui donnent une individualité très prononcée. Rien ne lui échappe, et sa vivacité est étonnante. Cependant, son vrai charme réside dans la cordialité simple de ses manières et dans sa parfaite sincérité. Il n’a ni la réserve des Orientaux, ni l’allure conventionnelle des Occidentaux qui, trop souvent, cachent la médiocrité bureaucratique. La simplicité pure est le privilège de l’élite, on pourrait dire : c’est un luxe à la portée seulement des très grands esprits ; le comte Okuma est de ceux-là.

Dans une agréable conversation que j’eus l’honneur d’avoir avec lui il y a peu de temps, il m’a exposé ses vues et ses projets. Il me démontra la nécessité de reconstruire du haut en bas l’édifice de l’éducation et de l’élever sur des fondations plus solides afin de pouvoir mieux armer la génération qui se lève et de lui assurer la victoire dans la lutte pour la vie. Les enfans doivent puiser leur force là où les pères l’ont puisée. Il est convenu, à regret, mais très sincèrement, du peu qui avait été fait pendant la première année de Meiji et combien la génération présente en souffrait. Il faut absolument y porter remède, car, ajouta-t-il : « Sans idées morales, sans une forte discipline, nous tomberons dans le désordre et dans l’anarchie. »

Quelques jours plus tard, devant l’assemblée générale de l’Association autonome, parlant du gouvernement de soi-même, il exprima les idées suivantes :


Au moment de la Restauration, on a détruit pour des raisons politiques les nombreuses associations autonomes, si bien que, pendant les dix années de la Meiji, nous avons vu dix-huit émeutes, un mécontentement universel dans les campagnes et des troubles de nature plus grave encore à Koshu et à. Ibaraki. Les sociétés autonomes formaient la base de notre vie sociale. Les protéger et les répandre serait une bonne œuvre, surtout dans un pays qui désire être constitutionnel. Le système gouvernemental anglais a réussi sur le continent d’Europe là où des corps indépendans, tels qu’il en existe en Angleterre, ont pu se former. L’éducation doit servir principalement à éveiller chez un peuple l’esprit de discipline, de contrôle sur soi-même. Cet