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qu’il se soit engagé, l’État n’avait pas le droit de le faire, et que, en tout cas, ses engagemens ne sauraient lier les successeurs de ceux qui les ont pris. Nous ne discuterons pas une pareille thèse : elle est à la fois immorale et puérile. Lorsqu’il a promis, pour emprunter à meilleur compte, de n’opérer aucune retenue sur les intérêts de ses emprunts, l’État s’est engagé très valablement, et comme il est doué de pérennité, qu’il se continue toujours et ne meurt jamais, ses engagemens sont pour l’avenir comme pour le présent. Mais alors, demande-t-on, que devient sa souveraineté ? M. Jules Roche, M. Aimond, M. Ribot ont fait là une distinction essentielle entre l’État représentant de la puissance publique et l’État emprunteur et contractant. Dans le premier cas, il est souverain, ce qui ne veut pourtant pas dire qu’il ait le droit de tout faire ; dans le second, n’est soumis aux règles générales de tous les contrats. S’il les viole, il est aussi coupable que le serait un particulier dans le même cas : la seule différence est qu’il y a des tribunaux pour les particuliers et qu’il n’y en a pas peur l’État. Libre à lui d’abuser de sa force ; l’impunité matérielle lui est assurée, mais il n’en est pas de même de l’impunité morale. La justice immanente des choses trouve, ici comme partout, l’occasion de s’exercer : elle prend la forme redoutable d’une atteinte au crédit public.

Si on veut, chez nous, soumettre la rente à une retenue, nous ne voyons qu’un moyen de le faire légitimement ; il a été indiqué ; c’est de procéder à un grand emprunt de liquidation qui prendra la place de tous les autres, mais à l’origine duquel on aura soin de dire qu’il sera soumis à l’impôt. On fait quelque chose d’analogue en matière de conversion. Quand l’État convertit sa dette, il en contracte, en réalité, une nouvelle, dont les conditions sont connues d’avance, et que le créancier est libre d’accepter ou de refuser. Refuse-t-il ? on lui restitue son capital ; accepte-t-il ? il a un titre nouveau ; dans les deux cas, le contrat primitif est respecté. Et le Trésor n’y perd rien. Si on fait le total des économies que l’État a opérées sur la rente depuis la première conversion jusqu’à la dernière, on verra qu’il a demandé à la rente, sous la forme particulière de la conversion, plus peut-être qu’il n’aurait osé le faire sous la forme plus générale de l’impôt. M. le ministre des Finances l’a constaté lui-même ; mais alors comment a-t-il pu répéter l’allégation parfaitement fausse et mensongère que la rente jouit d’un privilège inadmissible et qu’elle échappe indûment aux charges publiques dont tous les autres revenus sont grevés ? Le succès de cette affirmation, si souvent renouvelée,